jeudi 4 février 2016

Une sublime bouffée d'air matinal

"Quand vous m’appelez 'ma sœur', vous participez au racisme que vous subissez peut-être"
 


Une opinion de Sarah Roubato, blogueuse, anthropologue et auteur-compositeur-interprète.

 Source La Libre Belgique

Cher Monsieur, Je vous appelle Monsieur, c’est une marque de courtoisie. Je m’excuse de vous traiter comme tous les autres. Je ne doute pas que vous soyez unique au monde comme chacun d’entre nous. 

Je me permets de vous écrire pour vous rapporter une scène aussi cocasse qu’ordinaire, qui m’arrive régulièrement sur vos marchés. 

J’aime les fruits et les légumes frais, je tâche d’acheter des produits de saison locaux. Comme mes moyens sont modestes, je vais souvent faire un tour chez vous. Et voici ce qui ne manque jamais d’arriver.

Je m’approche de votre étalage. Devant moi une dame âgée scrute les légumes de son œil connaisseur. 

Devant elle un jeune papa montre à sa fille ce qu’il va acheter et lui dit de ne pas toucher les fruits. Vous êtes en train de rendre la monnaie à une jeune femme, qui doit avoir mon âge.

- "Et voilà Mademoiselle, en vous souhaitant une bonne journée. Madame, bonjour." Vous reconnaissez la femme âgée.

"Ah, ça fait longtemps que je ne vous avais pas vue Madame, comment allez-vous ?… Merci Madame, et bonne journée à vous !" Puis : "Alors ça va ma sœur ? Qu’est-ce que tu prends ?"

Je mets quelques secondes avant de comprendre que vous vous adressez à moi.

- "Bonjour, je voudrais des poires."

"Chhal ?"

- "Excusez-moi ?"

- "Combien ?"

"Deux."

Vous me lancez un regard insistant et me posez à nouveau en arabe une question que je ne comprends pas.

- "Pardon ?"

- "Tu es d’où ?"

- "Je suis française."

- "Mais tu es d’où ?"

- "Je suis née à Paris."

- "Oui, mais tu es d’où, à la base ?"

La base. Je réfléchis à ce que ce mot peut désigner. Une origine plus originelle que celle des clients qui m’ont précédée ? Une origine que je dois porter sur mon visage. Que faire ? 

La dernière fois que j’ai révélé le lieu de naissance de mes parents, un de vos collègues, soulagé, s’est écrié : "Ah bah voilà ! Faut pas avoir honte d’être arabe ! Allez, bon Ramadan !"

Si je ne réponds pas, vous en concluez que je suis complexée. Parce que j’ai un physique typé. 

Comme ils disent. Mais permettez-moi de vous rappeler que les Arabes ne sont pas les seuls à avoir ce fameux physique que personne n’est capable de définir mais que tout le monde semble reconnaître. Je pourrais tout aussi bien être berbère, turque ou kurde.

Nos ascendances supposées

Pour vous comme pour tous les gens de bonne foi qui me reposent la question jusqu’à obtenir satisfaction, il n’est pas pensable que je ne sois que française. 

En vertu d’une mystérieuse convergence de nos ascendances supposées, vous faites de moi votre sœur, et allons-y, tutoyons-nous et parlons arabe ! Je vous remercie, mais je ne parle pas arabe, je ne tutoie que les gens qui me sont proches, et je ne suis la sœur que de ma sœur.

Les trois clients que vous avez servis avant moi ont peut-être une grand-mère italienne, une mère russe ou un arrière-grand-père polonais. 

Mais ces origines-là manquent d’originalité aujourd’hui. Ce sont des pseudo-origines d’Européens. Eux ne sont plus de nulle part et ont droit à "Monsieur", "Madame". 

Pourtant, quand j’entends les voix de Brassens, de Gainsbourg, de Coluche, de Popeck, de Fernandel, je me sens chez moi. Est-ce que j’ai tort, Monsieur ?

Quand vous me parlez arabe et m’appelez "ma sœur", vous ne faites pas autre chose que participer au racisme que vous subissez peut-être. 

Vous attribuez à quelqu’un une identité culturelle et religieuse d’après sa physionomie, et vous modifiez votre comportement envers cette personne à partir de cet a priori.

Je ne suis pas en train de renverser la responsabilité du racisme. Je crois à une fraternité plus vaste. Celle qui n’exclut personne de la critique. 

En quoi l’appartenance ethno-religieuse supposée de mes parents révélerait-elle quoi que ce soit de ce que je suis ? 

La religion d’une personne ne m’importe pas d’emblée. Je n’ai ni besoin ni envie de la connaître au premier coup d’œil. Mais si c’est important pour elle, je serais heureuse d’en parler avec elle et d’en apprendre plus.

Ce que je refuse, c’est qu’on m’impose ces catégories comme définissant a priori un individu. Précisément parce qu’on ne les choisit pas. Je n’appartiens à aucune communauté et ne m’identifie à aucune religion. 

Je suis ce que je cherche, ce que je refuse, ce que je rêve, ce que je combats. Je suis le quartier où j’ai grandi et le désir de partir. 

Je suis un enfant de la ville ou de la campagne. Je vis avec ou sans Dieu. Je vis réaliste, mystique, analytique, poétique. Je cherche le comment ou le pourquoi. Je ne suis pas de là où mes parents sont nés.

Là on m’appelle Madame

Quand je vais dans les supérettes ouvertes jusqu’à 23 heures, on me parle français, on m’appelle "Madame" et on me vouvoie. J’ai longtemps cherché pourquoi. 

Je pensais que c’était sûrement le fruit du hasard. Et puis je me suis rendu compte que tous les épiciers étaient bien plus âgés que les vendeurs des marchés. 

Ils sont d’une autre génération, on était ouvrier ou commerçant avant d’être arabe ou musulman.

Allez, ne parlons plus de ça, mon frère. Parlons plutôt des difficultés d’être maraîcher aujourd’hui, parlons des normes qui vous sont imposées par la PAC, parlons du froid, parlons des bons fruits, blaguons.

Offrez-moi un bouquet de persil la semaine prochaine, et je vous raconterai la dernière qui m’est arrivée. Alors que je séjournais dans un petit village de la Drôme, mon hôte me parla d’une fromagère qui faisait le meilleur chèvre de la région. Le lendemain, au hasard des routes, nous la croisons. Elle a rouvert son petit stand. 

C’est sa grande rentrée après l’hiver. Nous nous arrêtons et je lui dis que j’ai beaucoup entendu parler d’elle. Elle s’appelle Fatima et me demande d’où je viens.

- "Pour l’instant je vis au Québec."

"France et Québec, c’est tout ? Vous n’êtes pas d’ailleurs, à l’origine ?"

Juste après les attentats de Paris, Sarah Roubato avait publié "Je n’irai pas qu’en terrasse", un texte partagé plusieurs centaines de milliers de fois


Commentaire de Bruxellois surement

Appel aux hommes politiques: Ne me parlez jamais de mes origines ni de "mon" islam encore moins me cataloguer de Belge d'origine ........

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1 commentaire:

  1. Belge d'origine marocaine, belgo-marocain, marocain naturalisé belge, etc. Même en entretien d'embauche ils osent demander la nationalité alors que tu viens de lui donner ta carte d'identité et c'est écrit sur le CV. Je ne vois pas l'intérêt pour eux de connaître le pays où sont nés mes aïeux. Un racisme qui se perpétue à cause des gens de la communauté qui se disent marocains avant d'être belges. Faut pas s'étonner qu'après les hommes politiques décident de renvoyer "chez eux" ceux qui dérangent.

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