dimanche 31 août 2014

Après avoir donné leurs meilleures années à la France

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On achève bien les Chibanis


Mohamed Amrouni, dans sa chambre du 73 boulevard Saint-Antoine, à Paris.

Antoine Achour Amarouche, Algérien, 69 ans


Menacés d'expulsion, les «chibanis» du faubourg Saint-Antoine se rebiffent
RÉCIT

Une dizaine de retraités algériens ou marocains vivent depuis des années dans un hôtel meublé parisien.

Il fallait les voir entrer dans les locaux du Droit Au Logement, à Paris le 11 août. Une petite dizaine de chibanis («cheveux blancs» en arabe), algéro-marocains, décidés à donner de la voix.

La mine renfrognée, pour quelques-uns coiffés d’un béret, ils sont venus en bande et repartiront en bande.

Entre leurs mains ridées, leurs dossiers certifiant qu’ils habitent dans un hôtel meublé, 73, rue du faubourg Saint Antoine à Paris.

C’est à cette adresse qu’une quarantaine de travailleurs migrants, en règle, vivent depuis dix, vingt ou quarante ans.

Munis de leur titre de séjour, les membres de la délégation sont venus organiser la lutte, déterminés à ne pas se faire jeter à la rue.

A l’hôtel, mis à part deux Français, tous sont immigrés, algériens ou marocains. Pas une seule femme. Dans les petites chambres miteuses du meublé, beaucoup sont retraités et se font soigner dans les hôpitaux environnants.

Zakia Ait-Tayeb, la gérante de leur taudis, qui n’est pas propriétaire des lieux, les a priés de déguerpir. Elle-même étant sommée de s’en aller par une lettre de la préfecture de police de Paris, datée du 7 juillet.

A défaut de départ spontané, celle-ci s’expose à une expulsion «sous quelques semaines» et les habitants de l’hôtel par la même occasion.

Alors que la procédure d’expulsion était lancée depuis des mois, elle leur a demandé de libérer leur chambre à la dernière minute.

Les locataires n’ont été mis au courant du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris du 26 juillet 2013 que début juin.

«ILS ONT DÉCIDÉ DE LUTTER»

Sauf que les chibanis ont encore de l'énergie. A peine au courant de leur expulsion imminente, ils contactent le Droit au logement (DAL).

Les militants fourrent le nez dans les affaires du vieil hôtel du faubourg. Et surprise : «Si la préfecture exécutait sa décision, elle serait dans l’illégalité.

Ces gens sont locataires et il ne peut y avoir d’expulsion sans jugement nominatif», explique Jean-Baptiste Eyraud, militant historique du DAL.

«Ça faisait longtemps qu’on n'avait pas vu ça, souligne-t-il. Parce qu’il n’y a plus beaucoup d’hôtels meublés et que généralement les gens ne restent pas dans ce genre d’habitation. Mais là, ils ont décidé de lutter.»

Antoine Achour Amarouche, Algérien, 69 ans. Arrivé en France en 1963, résidant à l'hôtel depuis 1980. 

«Je croyais qu'avec tout ce qu'on a souffert, on trouverait un peu de tranquillité à la fin... mais c'est toujours pareil. »

Derrière chaque porte, les travailleurs migrants brandissent leurs papiers et invoquent leurs loyers payés rubis sur l'ongle, tous les mois.

Dans le vieil immeuble branlant, pas de trace de douches, les habitants vont se laver aux bains publics. Le lino semble être là depuis la prise de la Bastille et les cafards font la course sur les murs.

Youçef Ferkous, 71 ans, s’en fiche. Il rit, même s’il n’est pas content. «Les propriétaires se sont dit c’est des Arabes, avec des Arabes, laisse-les, ils vont se bouffer entre eux, lâche-t-il goguenard.

Mais là on est un bloc. Il faut se défendre, qu’ils laissent les vieux tranquilles.» Sa date d’arrivée en France, il en connaît le jour exact : le 25 septembre 1965.

Il pourrait se souvenir de la tête du douanier. Ouvrier, intérimaire, il égraine ses années de galères et de petits boulots.

Titulaire d’un titre de séjour, il comptait profiter d’une retraite méritée, après une vie de travail. Pendant tout ce temps passé en France, il a cotisé.

La perte de son logement serait pour lui doublement dramatique.

«Si t’as pas d’adresse, t’as plus rien. T’as pas de parole, t’es foutu. Pour refaire ton titre de séjour, pour tout !»


Dépité, il enfonce le clou. 

«Les sous, c’est ici. Les soins, c’est ici. La sécurité sociale, c’est ici. On est attachés à ce pays.»

«DÉSOLÉE POUR EUX»

Avant la menace d’expulsion, les locataires ne s’étaient jamais vraiment parlé.

 «C’était bonjour, au revoir. Point.» explique Mohamed Tinicha, 70 ans. Un œil bleu, un autre marron, un ton désenchanté. Lui partage sa 
chambre avec le même homme depuis 1971.

«On a pu créer une amitié. On était tout jeune quand on s’est rencontrés. Quand vous avez un type sérieux, tranquille… » glisse-t-il, pudique, avant 
de conclure. «On est restés ensemble.»

Zakia Ait-Tayeb, qui gère l’hôtel «depuis plus de trente ans» en connaît bien les occupants.

«J’ai de très bonnes relations avec les locataires. Je suis désolée pour eux, mais moi aussi je suis perdante dans cette histoire.»

 Selon elle, c’est la Compagnie des immeubles de la Seine, propriétaire des murs qui veut récupérer son bien. «Ils veulent l’immeuble, tout casser et refaire un hôtel.

Le reste ils s’en foutent complètement.» Mal à l’aise, elle a fait passer ces quelques mots à ses hôtes : «Etant des anciens et sérieux locataires, je me tiens à votre disposition pour vous appuyer dans vos démarches auprès de tout propriétaire ou tout exploitant d’hôtel meublé.»

A la préfecture, «le dossier fait l’objet d’une étude très attentive» explique-t-on prudemment.

«A ce stade, la demande de concours de la force publique n’a pas encore été accordée.»


A ce jour, la Compagnie des immeubles de la Seine, elle, est injoignable. 

Face à ces incertitudes, les vieux messieurs ont décidé de se battre pour, au moins, être relogé décemment.
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Youçef Ferkous, 71 an

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