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On achève bien les Chibanis
Antoine Achour Amarouche, Algérien, 69 ans
Menacés d'expulsion,
les «chibanis» du faubourg Saint-Antoine se rebiffent
RÉCIT
Une dizaine de
retraités algériens ou marocains vivent depuis des années dans un hôtel meublé
parisien.
Il fallait les voir entrer dans les
locaux du Droit Au Logement, à Paris le 11 août. Une petite dizaine de chibanis
(«cheveux blancs» en arabe), algéro-marocains, décidés à donner de la voix.
La mine renfrognée, pour quelques-uns
coiffés d’un béret, ils sont venus en bande et repartiront en bande.
Entre leurs mains ridées, leurs
dossiers certifiant qu’ils habitent dans un hôtel meublé, 73, rue du faubourg
Saint Antoine à Paris.
C’est à cette adresse qu’une
quarantaine de travailleurs migrants, en règle, vivent depuis dix, vingt ou
quarante ans.
Munis de leur titre de séjour, les
membres de la délégation sont venus organiser la lutte, déterminés à ne pas se
faire jeter à la rue.
A l’hôtel, mis à part deux Français,
tous sont immigrés, algériens ou marocains. Pas une seule femme. Dans les
petites chambres miteuses du meublé, beaucoup sont retraités et se font soigner
dans les hôpitaux environnants.
Zakia Ait-Tayeb, la gérante de leur
taudis, qui n’est pas propriétaire des lieux, les a priés de déguerpir. Elle-même
étant sommée de s’en aller par une lettre de la préfecture de police de Paris,
datée du 7 juillet.
A défaut de départ spontané, celle-ci
s’expose à une expulsion «sous quelques semaines» et les habitants de l’hôtel
par la même occasion.
Alors que la procédure d’expulsion
était lancée depuis des mois, elle leur a demandé de libérer leur chambre à la
dernière minute.
Les locataires n’ont été mis au
courant du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris du 26
juillet 2013 que début juin.
«ILS ONT DÉCIDÉ DE LUTTER»
Sauf que les chibanis ont encore de
l'énergie. A peine au courant de leur expulsion imminente, ils contactent le
Droit au logement (DAL).
Les militants fourrent le nez dans
les affaires du vieil hôtel du faubourg. Et surprise : «Si la préfecture
exécutait sa décision, elle serait dans l’illégalité.
Ces gens sont locataires et il ne
peut y avoir d’expulsion sans jugement nominatif», explique Jean-Baptiste
Eyraud, militant historique du DAL.
«Ça faisait longtemps qu’on n'avait
pas vu ça, souligne-t-il. Parce qu’il n’y a plus beaucoup d’hôtels meublés et
que généralement les gens ne restent pas dans ce genre d’habitation. Mais là,
ils ont décidé de lutter.»
Antoine Achour Amarouche, Algérien,
69 ans. Arrivé en France en 1963, résidant à l'hôtel depuis 1980.
«Je croyais qu'avec
tout ce qu'on a souffert, on trouverait un peu de tranquillité à la fin... mais
c'est toujours pareil. »
Derrière chaque porte, les
travailleurs migrants brandissent leurs papiers et invoquent leurs loyers payés
rubis sur l'ongle, tous les mois.
Dans le vieil immeuble
branlant, pas de trace de douches, les habitants vont se laver aux bains
publics. Le lino semble être là depuis la prise de la Bastille et les cafards
font la course sur les murs.
Youçef Ferkous, 71 ans, s’en fiche.
Il rit, même s’il n’est pas content. «Les propriétaires se sont dit c’est des Arabes, avec des
Arabes, laisse-les, ils vont se bouffer entre eux, lâche-t-il
goguenard.
Mais là on est un bloc. Il faut se
défendre, qu’ils laissent les vieux tranquilles.» Sa date d’arrivée en France,
il en connaît le jour exact : le 25 septembre 1965.
Il pourrait se souvenir de la tête du
douanier. Ouvrier, intérimaire, il égraine ses années de galères et de petits
boulots.
Titulaire d’un titre de séjour, il
comptait profiter d’une retraite méritée, après une vie de travail. Pendant
tout ce temps passé en France, il a cotisé.
La perte de son logement serait pour
lui doublement dramatique.
«Si t’as pas
d’adresse, t’as plus rien. T’as pas de parole, t’es foutu. Pour refaire ton
titre de séjour, pour tout !»
Dépité, il enfonce le clou.
«Les sous, c’est
ici. Les soins, c’est ici. La sécurité sociale, c’est ici. On est attachés à ce
pays.»
«DÉSOLÉE POUR EUX»
Avant la menace d’expulsion, les
locataires ne s’étaient jamais vraiment parlé.
«C’était bonjour, au revoir. Point.» explique
Mohamed Tinicha, 70 ans. Un œil bleu, un autre marron, un ton désenchanté. Lui
partage sa
chambre avec le même homme depuis 1971.
«On a pu créer une amitié. On était
tout jeune quand on s’est rencontrés. Quand vous avez un type sérieux,
tranquille… » glisse-t-il, pudique, avant
de conclure. «On est restés
ensemble.»
Zakia Ait-Tayeb, qui gère l’hôtel
«depuis plus de trente ans» en connaît bien les occupants.
«J’ai de très
bonnes relations avec les locataires. Je suis désolée pour eux, mais moi aussi
je suis perdante dans cette histoire.»
Selon elle, c’est la Compagnie des immeubles
de la Seine, propriétaire des murs qui veut récupérer son bien. «Ils veulent
l’immeuble, tout casser et refaire un hôtel.
Le reste ils s’en foutent
complètement.» Mal à l’aise, elle a fait passer ces quelques mots à ses hôtes :
«Etant des anciens et sérieux locataires, je me tiens à votre disposition pour
vous appuyer dans vos démarches auprès de tout propriétaire ou tout exploitant
d’hôtel meublé.»
A la préfecture, «le dossier fait
l’objet d’une étude très attentive» explique-t-on prudemment.
«A ce stade, la demande de concours
de la force publique n’a pas encore été accordée.»
A ce jour, la Compagnie des immeubles
de la Seine, elle, est injoignable.
Face à ces incertitudes, les vieux
messieurs ont décidé de se battre pour, au moins, être relogé décemment.
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Youçef Ferkous, 71 an
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