mercredi 15 août 2018

L'histoire des émigrés marocains (3)

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Ouvrage de Khalil Zeguendi



Jeunes ouvriers marocains des années 1960 


L’arrivée en Belgique : Chambrées collectives


A Bruxelles, les premiers immigrés, surtout les campagnards qui constituaient la majorité de la colonie marocaine en terre d’accueil, avaient pris l’option de partager à deux, trois ou quatre, une chambre garnie (sommairement meublée) mise à leur disposition par des propriétaires belges ou étrangers qui, qui avaient flairé  la bonne opportunité et adaptaient des appartements en pièces meublées.

En effet, suite à la dure répression  qui avait plongé les montagnards du Rif dans le désarroi et la peur, un exode rural massif amena des milliers de jeunes de ces régions vers les grandes villes du nord marocain comme celles de Nador, Tanger et de Tetouan, avant de les pousser quelques années plus tard, vers un exil européen que ces jeunes imaginaient et espéraient temporaire.  



Jeunes Tangérois réunis dans une chambre collective
Nombre d'entre eux sont aujourd'hui décédés

Les tout premiers contingents d’immigrés marocains ayant rallié la Belgique, l’Allemagne ou les Pays bas étaient essentiellement formés de ces jeunes rifains.

 Pour la plupart attachés à leur terre, ces immigrés souffrirent beaucoup, mais en silence et dans la  dignité, du déracinement et de la distance tant culturelle que géographique qui les séparait des leurs.  

Analphabètes pour la plupart d’entre eux, ces jeunes immigrés vivaient leurs premières années en Belgique dans un cloisonnement total et hermétique.

Leurs relations avec les autochtones étaient quasi inexistantes et leurs rapports avec les administrations locales s’effectuaient souvent avec l’assistance de l’un ou l’autre immigré citadin. 

Hassan, 79 ans, rencontré à l'aéroport de Zaventem, raconte

« Les rhumatismes dus à l’humidité du travail dans la construction m’avaient été fatals » 

« Je me rappelle encore cet enthousiasme débordant qui me poussait du temps de ma jeunesse à effectuer des heures supplémentaires. Des suppléments si bien rémunérés à cette époque et bienvenus pour la concrétisation d’un projet que je voulais réaliser au  Maroc ».

Ah, j’étais jeune et robuste. Mon patron était fier de mes prestations prolongées. Mais avec les années, j’ai succombé à l’accumulation des handicaps physiques. »        

Les premiers immigrés ne sortaient guère de leurs chambres que pour se diriger vers l’usine ou la manufacture et les rares fois où ils mettaient le nez dehors, c’était pour s’approvisionner en denrées alimentaires auprès des épiciers du voisinage immédiat.

Leur ignorance  de la langue française ou néerlandaise et parfois de l’arabe courant pour le cas des Rifains, n’était pas pour leur faciliter les rapports avec leurs compatriotes d’origine citadine encore moins avec les autochtones.   

Ces chambres ainsi aménagées disposaient d’un coin cuisine, d’une douche commune à plusieurs; douche souvent placée dans un couloir accessible à tous les locataires d’un même étage.

Supportée et vécue a vec un certain fatalisme, cette promiscuité obéissait à de nombreuses considérations comme celle découlant de la nécessité pour de nombreux marocains de constituer une épargne en rognant sur les dépenses domestiques  



Auberges "espagnoles", mais pas que....!

Dimitri, Tounsi, Gomes et Haj Berkani : 
Aubergistes d’un genre particulier 


Dans les chambres partagées, la corvée cuisine était prise en charge à tour de rôle par les occupants du lieu. 

Une organisation des plus rigoureuses permettait à tout un chacun de se rendre utile à la collectivité.

Dans les environs immédiats de la gare du midi, lieu d’arrivage de tous les Marocains, quelques cafés - auberges ayant servi de lieux de premier accueil aux immigrés -, se comptaient sur les doigts d’une main  

Le premier hôtel - restaurant à avoir accueilli dès 1963, les premiers Marocains fut celui appartenant au grec Dimitri. 

Cet  établissement était situé à la place Bara, à un jet d’arbalète de la gare du midi,  là où se trouve l'actuel salon de thé "La Ruche" 

Il comprenait une douzaine de chambres à trois ou quatre lits.

Beaucoup de ceux qui arrivaient à Bruxelles connaissaient par ouïe dire cette auberge d’un genre particulier, puisque, d’après les témoignages d’anciens immigrés y ayant séjourné, Dimitri, n’avait jamais chassé l’un de ses locataires n’étant pas en mesure de s’acquitter de son loyer. 

Dimitri louait ses lits avec une option "pension complète" puisque les résidents pouvaient consommer leurs repas, souvent à crédit, au restaurant de cette « maison du bon Dieu ». 

Mais cet établissement avait pour principe de ne garder ses résidents que durant six mois. 

En somme, « Chez Dimitri » fut un point de transit permettant aux nouveaux arrivants de se débrouiller par la suite, pour dénicher un logement leur permettant de s’installer de manière plus stable.
Et rares étaient les jeunes immigrés marocains résidant chez Dimitri qui ne s’acquittaient pas de leur loyer dès lors qu’ils parvenaient à décrocher un  travail. 

Non loin de l'auberge Chez Dimitri, Hajj Berkani, lui, avait racheté en 1963, l’immeuble qui fait aujourd’hui le coin de l’avenue de Stalingrad et de la rue Frederic Basse et aménagé le bâtiment en pension disposant d’une trentaine de chambres garnies qu’il louait aux immigrés espagnols, portugais et puis marocains par la suite. 

Contrairement à ce que certains pourraient croire aujourd’hui, les ressortissants tant espagnols, grecs que portugais n’étaient pas mieux lotis à l’époque que ne le furent les marocains par la suite




Et ce furent surtout des immigrés peu qualifiés provenant des Asturies espagnoles ou de l’Alentejo portugais qui ralliaient la Belgique, chassés de leurs pays par le manque de perspectives économiques ou par la dureté des dictatures y sévissant. 

A la même époque, Gomes fut l’un des premiers espagnols à avoir ouvert une pension près de la Porte de Halle, à un jet de pierre de la gare du Midi. 

Ces quelques pensions avaient un rôle des plus importants quant au statut de tremplin qu’ils constituèrent pour les premiers immigrés qui y trouvaient refuge, le temps de se doter d’une certaine stabilité économique.

Les recruteurs agissant pour le compte des entreprises industrielles y passaient quasi tous les matins pour « engager » de la main d’œuvre peu ou prou qualifiée et il revenait toujours au patron de la pension de sélectionner parmi ses résidents, ceux qui devaient accompagner tel ou tel courtier venu opérer le recrutement.           

Ces engagements effectués « sur le tas » concernaient surtout ceux des immigrés « touristes », arrivés à titre individuel, en dehors des canaux contingentés.

Les services administratifs de la commune de Bruxelles ville qui étaient situés à la sortie du passage du travail, à quelques centaines de mètres de la gare du Midi, n’avaient pas à cette époque, installé des guichets ou des services spécialisés dans le traitement de cette nouvelle catégorie de résidents, dont l’afflux mobilisait différents départements du personnel communal. 

Le troisième établissement d'hébergement et l’un des  plus connus des anciens immigrés bruxellois, fut, sans conteste celui appartenant à Ahmed Tounsi – ou le Tunisien - . 

Ce patron de café -pension que beaucoup d’allochtones de la première génération évoquent encore aujourd’hui avec respect et un brin de nostalgie, fut un être formidable, extrêmement humain et profondément généreux.

Nombreux furent les émigrés venant du sud, qui à leur descente de train passaient dans ce café-auberge situé dans une ruelle voisine du boulevard du Midi et dont la renommée avait atteint les grandes villes du nord marocain comme Tanger, Tetouan, Acila ou Larache.

 Ouvert au début des années soixante, l’établissement d’Ahmed Tounsi était devenu assez rapidement et spontanément un haut lieu de solidarité et d’échanges entre les immigrés arrivant à Bruxelles ou ceux cherchant à s’y stabiliser. 

Ahmed et son épouse, une jeune flamande, nourrissaient au sens propre et  gracieusement tous ceux des immigrés qui avaient faim. 

Il lui arrivait même de prêter de l’argent à ceux qui travaillaient mais qui devaient s’acquitter de telle ou telle dépense en attendant leur jour de paie. 

Le café  du Tounsi, fut un  centre social d’un genre particulier où les jeunes immigrés instruits le fréquentant, mettaient leurs connaissances au service de leurs compatriotes analphabètes, en rédigeant pour eux des lettres destinées à la famille restée au pays ou en complétant les divers formulaires administratifs. 






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