jeudi 6 septembre 2018

Premières vacances au Maroc ( ANNEES 1960)

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Ouvrage de Khalil ZEGUENDI


Premières femmes arrivées en Belgique (fin 1960)



Partie 5 (Vacances et premières retrouvailles)



   Après une, voire deux années de dur labeur, dans les mines wallonnes, sur les chantiers de construction bruxellois ou encore affrontant la chaleur étouffante des hauts fourneaux de la métallurgie, les jeunes travailleurs immigrés qui se privaient de tous loisirs pour épargner le plus de deniers, ne pensaient qu'à une chose: rentrer au pays pour retrouver parents, frères, sœurs et amis.... 

    Les possibilités de déplacement vers le Maroc n’étaient pas légion et tous les immigrés devaient se résoudre soit à emprunter les lignes belges, françaises et espagnoles du chemin de fer ou partager à sept ou à huit, les places disponibles à bord de camionnettes affrétées pour ces déplacements par d’autres immigrés s’étant recyclés dans la "profession" de transporteur.

 
    Le trajet entre Bruxelles et Algeciras, dernière étape avant l’embarquement sur le ferry reliant ce port espagnol à Tanger durait trois jours et traçait deux mille deux cents kilomètres.
 
    Une véritable épreuve qui venait souvent à bout de la résistance physique des immigrés de Belgique rentrant au pays, puisqu’il fallait changer de train à deux ou trois reprises.

    La première correspondance s’effectuait à Paris.

Chargés comme des mulets, les passagers devaient se débrouiller à leur descente de train à la gare du nord de la capitale française, pour rejoindre celle d’Austerlitz où les attendait un train espagnol devant les conduire jusqu’à la capitale Madrid.

 L’arrivée de ce train à la ville basque d’Irun, "Limit Point" entre l'Hexagone et l'Ibérie, constituait un vrai calvaire pour les milliers de passagers marocains déjà exténués, dans la mesure où avant de pénétrer plus loin en sol espagnol, la longue machine était soumise à une drôle d’opération.

    Ceux de la première génération se souviennent encore aujourd’hui de cette interminable manœuvre constituant à élargir de quelques centimètres les essieux supportant les roues du train pour les rendre compatibles avec la largeur des rails espagnols.

 Ce manège durait près de six heures. Six heurs d’attente dans un patelin quasi désert le soir ou le matin.

    Et à Madrid, se déroulait un autre transbordement du chargement humain. De nouveau, il fallait à ces vaillants jeunes immigrés, quitter la gare d’Atocha en bus, chargés comme des mulets, pour rejoindre celle de Chamartin.

    Et lorsqu'ils mettaient les pieds à Algéciras, ils devaient aller chercher dans les dernières ressources, le peu d’énergie qui leur restait pour arriver, au bord de l’épuisement, sur les quais d’embarquement où les attendaient les ferries en direction de Ceuta, de Tanger ou de Nador plus à l’est.

      Pour nombre d’entre eux, le débarquement tangérois après trois heures de traversée, était loin de constituer la dernière des épreuves puisqu’il leur fallait s’enfoncer davantage en territoire marocain avant de joindre leur ville ou leur village et de tomber, exténués et en larmes, dans les bras des leurs.

Ceux d'entre eux qui étaient mariés trouvaient un profond réconfort entre les bras de leur épouse, les autres n'avaient qu'une idée en tête: se marier au plus vite...
 
      Le mois de congé auquel ces immigrés avaient droit était amputé de six à sept à jours pris par le voyage "aller et retour".

       Les deux premiers jours de leur séjour marocain étaient généralement consacrés à la récupération des forces galvaudées durant le périple entre la Belgique et le Maroc.

     Au total, ces immigrés disposaient en réalité d’une vingtaine de jours à passer auprès des leurs.

     Beaucoup d’entre eux estimaient ce séjour insuffisant et recouraient à des attestations médicales de complaisance qu’ils envoyaient à leur entreprise belge.
 
     D’autres plus prévoyants, préféraient ne pas être payés pour les heures supplémentaires prestées et proposaient à leur patron de les échanger en jours de congé qu’ils rajoutaient aux journées légales de vacances.
 
     Lors de leur retour en Belgique, les immigrés marocains ramenaient toutes sortes de denrées culinaires faisant cruellement défaut à cette époque en Europe: épices, menthe sèche, pois chiches, saint doux, beurre rance, bâtons de cannelle, etc.

    Les avions de la Royal Air Maroc et les autocars qui relient aujourd’hui de manière régulière la Belgique à quasi toutes les villes du Maroc, n’avaient pas encore été mis en service à cette époque.


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Chapitre VI
Travailleur immigré marocain célibataire à Bruxelles (1966)


Se marier, la solution à l’isolement

 
La vie de privation et de dur célibat alla très vite pousser les jeunes travailleurs marocains à opter pour des mariages.
 
En effet, une fois installés dans un petit appartement, ces jeunes s’efforçaient de meubler leur nouveau chez soi en faisant appel à des dons de meubles provenant de nombreuses paroisses et associations d’aide aux immigrés très motivées pour la fourniture de l’aide sollicitée.

D’autres meubles étaient achetés en seconde main auprès de commerçants spécialisés dans la récupération de mobilier ou aux divers marchés aux puces bruxellois.
 
Le peu d’intérêt qu’accordaient la majorité de ces jeunes célibataires aux distractions et aux dépenses liées aux loisirs ainsi que la mise en commun des moyens requis pour le fonctionnement domestique, permettait à ce public de dégager de substantielles économies dont l’essentiel était destiné à concrétiser ce projet de mariage.

D’autant que ces jeunes travailleurs ne rechignaient pas à cette époque à effectuer des heures supplémentaires qu’exigeait la pénurie de main d’œuvre dont avaient besoin les secteurs industriels les plus performants comme ceux de la construction, de la sidérurgie, et de l’extraction du charbon.

L'"opération mariage" se déroulait souvent en deux temps: de fait, lors d’une première «descente» estivale au Maroc, le jeune immigré effectuait les démarches préliminaires de fiançailles en vue d’un futur mariage.

Le choix de la famille de la future mariée opéré, le jeune immigré, entouré de ses parents, se présentait au domicile de celle qu’il convoitait.

Et de palabres en présentations, les accords se scellaient avec en perspective, l’organisation, lors d’un prochain séjour au Maroc, de la grande fête des noces.   
Les mariages en vue d’un départ vers l’Europe étaient très prisés par les jeunes filles appartenant à des familles nombreuses et démunies.

Ces unions constituaient souvent une délivrance pour ces jeunes et parfois très jeunes citadines sans réelles perspectives de promotion sociale.

Beaucoup de ces filles nourrissaient le rêve de quitter leur situation sociale difficile et acceptaient les mariages arrangés par leurs parents, quand bien même le prétendant venu d’Europe leur était totalement inconnu et parfois même de loin plus âgé qu’elles.

Il faut savoir que de très nombreux travailleurs immigrés marocains originaires de l’arrière pays montagneux, préféraient demander en mariage des jeunes filles citadines.

Leurs motivations étaient multiples. En effet, prendre pour épouse une jeune fille de Tanger, Tetouan ou Acila correspondait pour ces jeunes ruraux du Rif, une sorte de promotion dans leur statut social.

De plus, le mariage avec une fille de la «ville» et qui plus est, passablement instruite, apportait un précieux soutien que la jeune femme, une fois installée en Belgique, n’allait pas manquer de fournir au mari sur le plan des démarches administratives et de l’encadrement scolaire des enfants.

Ces mariages permettaient aux immigrés marocains de la première génération originaires de la campagne, de disposer d’un ancrage urbain solide dans la mesure où au Maroc, la famille de l’épouse devient de facto celle du mari et on peut même dire que par extrapolation, l’ensemble du quartier où résidait cette famille adoptait sans trop de difficultés, le nouveau venu.

Les retours des premiers immigrés ruraux au «pays urbain» pour conclure ces unions poussa les autorités marocaines à privilégier les villes du nord marocain pour ce qui était des investissements en matière d’infrastructures de base et d’équipements collectifs.

De fait, les autorités des municipalités et des villes du nord marocain sentirent l’intérêt et l’engouement manifestés par ces jeunes immigrés pour l’acquisition de terrains à bâtir et s’employèrent à encourager les investissements dans le secteur des constructions domestiques.

A Tanger, des quartiers entiers furent consacrés à la construction de maisons appartenant à des immigrés. Le quartier de "Belgique" ainsi que celui de "Drissya" ou encore le quartier Branès furent quasi entièrement construits par des immigrés de Belgique, de Hollande ou d’Allemagne.

A Tetouan, à Larache et à Acila, les immigrés de la première génération investirent tant et plus pour la construction de maisons, fondant ainsi de nouveaux quartiers au sein de ces villes.

Les propriétaires des lots de terrains, conseillés par des courtiers en immobilier, flairèrent la bonne affaire et sollicitèrent toutes sortes d’autorisations pour lotir ces terrains destinés à être vendus aux immigrés désirant construire.

Ainsi, en 10 années de présence en Belgique, des milliers d’immigrés marocains avaient réglé le problème de leur logement par la construction au pays d’origine, de maisons unifamiliales ou de rapport.

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