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Dossier réalisé par Khalil Zeguendi
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Série (10 chapitres):
1960-1970 : Les travailleurs immigrés marocains : entre douleurs et privations
Un désert
d’affection et de culture : Partir, un parcours de combattant
Au début des années soixante, et dès
l’ouverture des bureaux de recrutement belges, hollandais et allemands dans les
grandes villes marocains et notamment à Tanger et Casablanca, des milliers de
jeunes, surtout originaires de la région du Rif, se ruèrent vers les consulat de
ces pays, tous situés dans une zone résidentielle de la ville du détroit.
La représentation diplomatique belge, situé à un jet d'arbalète de l'église catholique espagnole, avait
pris en charge tant les demandes des entreprises belges que celles émanant des autorités des
Pays bas.
L’aménagement au sein de ce consulat,
d’installations distinctes des services traditionnels, permettait à
l’administration chargée du volet lié au
recrutement de cette main d’oeuvre marocaine, destinée à
l’ »exportation », de fonctionner en totale indépendance des services
consulaires classiques.
Les milliers de contrats portant le sceau
d’entreprises belges et des mines wallonnes en particulier, étaient proposés
aux candidats à l’émigration et délivrés à ceux-ci à l’issue de nombreux tests,
épreuves et autres entretiens auxquels les candidats étaient soumis.
Il faut reconnaître que le critère le plus
déterminant pour la notation délivrée aux candidats au départ, par les "examinateurs" européens, se rapportait aux
seules aptitudes physiques de ces candidats.
Une bonne musculature et une saine denture
déterminaient généralement le nombre de points accordés aux postulants.
Une fois ces épreuves
« réussies », le détenteur du fameux contrat devait entamer une autre
épreuve, de loin plus insidieuse et davantage compliquée que celle à laquelle il
fut soumis auparavant.
En effet, l’obtention d’un passeport,
sésame indispensable au départ du pays, prenait souvent l’aspect d’un cauchemar,
tant les tracasseries administratives, les exigences de garanties et
l’indispensable et substantielle "Kawa" donnaient le tournis aux jeunes candidats
dotés de contrats de travail et devant au plus vite, rallier leur lieu mine ou leur usine en Europe.
Obtenir un passeport: un parcours du combattant
Le début des années soixante connut une
activité très soutenue en matière de demandes de passeports.
De nombreux
« courtiers » et autres intermédiaires agissaient pour le compte des
services de la mairie ayant en charge la délivrance de ce précieux document.
Un véritable réseau d’intermédiaires qui
« travaillaient » au vu et au su de tout le monde, proposait son
indispensable médiation, tant pour réduire les délais requis à l’obtention d’un
passeport que pour aplanir les problèmes rencontrés par les postulants, aux
divers niveaux et échelons de la procédure administrative.
Celle-ci touchait à plusieurs secteurs :
l’arrondissement civil, les services policiers, les bureaux des taxes et
imposition, les tribunaux ainsi que les divers guichets de l’administration
municipale pour l’obtention de multiples extraits de documents, que beaucoup
estimaient superflus pour la demande d’un passeport.
Avec comme il se devait un
« cadeau » à offrir aux responsables de chacun des services visités.
De nombreux jeunes détenteurs de contrats
de travail, exacerbés par tant de tracasseries et d’avidité durent tout simplement abandonner
en cours de route faute de pouvoir satisfaire tous les appétits de ceux qui
recourraient à de telles exigences.
Des centaines de faux passeports
circulaient au sein de ce réseau d’intermédiaires, à telle enseigne que pour
solutionner leur problème quant à l’obtention du passeport, certains détenteurs
de contrats pour l’étranger, las d’attendre et craignant de perdre la
possibilité offerte par l’entreprise belge, se résignaient, moyennant argent
sonnant et trébuchant, à acheter un passeport portant le nom de quelqu’un
d’autre. passeport sur lequel, l’intermédiaire prenait soin de coller la
photo de l’acheteur.
Pour l’anecdote : des dizaines de
passeports portant des noms de femmes furent acquis au prix fort par des
candidats masculins au départ.
Le premier pas dans l'eau du détroit
Les préposés marocains aux guichets de
sorties, chargés de vérifier ces passeports avant l’accès aux ferries, savaient tout
cela et moyennant un bakchich allongé par le détenteur du faux passeport, les
pandores de la police portuaire marocaine faisaient semblant de ne pas
remarquer la supercherie.
Au moment de la présentation de ces
passeports aux postes frontière espagnols ou français, certains de ceux ayant
acquis ces documents de voyage, portant des noms féminins, omettaient de
répondre à l’appel du policier français, de retour avec le paquet des
passeports, lorsque celui-ci hélait Fatima ou Aicha.
La semaine précédant le départ du «
contractuel » vers l’Europe constituait la période la plus éprouvante pour
les parents du futur « exilé ».
A cette époque, les marocains vivaient encore une réalité quasi féodale et leur connaissance
des pays de « derrière l’océan » - entendez l’Europe- était plus
qu’anecdotique.
Pour sa famille, un jeune parti est un jeune "perdu"
Pour les femmes des milieux modestes, le
départ du fils vers l’un des pays du vieux continent correspondait à une grande
plongée de ce dernier, dans une réalité des plus "hostiles".
Ces femmes étaient convaincues que les
jeunes Nasraniyates ( Nazaréennes ou chrétiennes, allaient leur voler leur
« enfant », dès sa descente du train, tant, pour ces mères, les
Nazaréennes libérées et entreprenantes, "raffolaient" de relations avec
les jeunes et « chauds » arabes.
Cette croyance était si bien ancrée dans
l’imaginaire populaire marocain qu’il devenait illusoire de tenter de la
contredire
Du reste, le principal conseil que ne
cessaient de ressasser les mères à leur fiston candidat au départ, revenait souvent à cet aspect considéré
comme le plus grave des multiples
"dangers" menaçant le jeune fils en partance pour l’Europe
Les jeunes filles: des candidates au mariage avec le jeune immigré
Le jeune détenteur du contrat, du passeport
et du billet du voyage vers l’Europe était pour ainsi dire, au centre de toutes
les attentions et des prévenances, tant de la part de son entourage familial
élargi, que de la part de ses amis du quartier.
Et il n’était pas rare que durant les
derniers jours le séparant du grand plongeon, le candidat au départ, reçoive de
manière discrète des petits messages de ses amis et connaissances, lui
rappelant, au cas où il l’aurait omis,
toute l’amitié que ces derniers éprouvaient depuis toujours, à son égard.
Il allait sans dire que l’allusion à
l’envoi de l’ascenseur via un contrat de travail était la lecture qu’il fallait
faire, entre les lignes, de ces messages.
Les jeunes filles des milieux modestes du quartier se découvraient
soudain des accointances et des affinités avec les sœurs du jeune en partance
pour l’Europe.
Et toutes les occasions étaient bonnes
pour échanger quelques mots avec les
jeunes sœurs ou la maman, au « hasard » d’une rencontre fortuite au
hammam du quartier ou chez l’épicier du coin.
Ces contacts établis ou "renforcés" avec la
gente féminine de la famille du jeune candidat à l’émigration se poursuivaient
de manière plus structurée et davantage fréquentes après le départ de ce
dernier.
Les passeurs, de véritables tyrans
Pour les « touristes « arrivés
sans autorisation de séjour en Belgique, la traversée de l’Espagne et de la France n’était pas affaire
aisée.
Les passeurs ou plus exactement les
navetteurs qui proposaient leurs services aux jeunes marocains tentés par un
départ pour l’Europe, prodiguaient de multiples conseils à leurs
« clients ».
Il faut signaler au passage, que ces
candidats au départ devaient s’acquitter du montant exigé par le navetteur
avant de prendre place dans le bateau devant rallier la ville de Tanger à
l’Espagne.
Ce montant, réglé en Pesetas ou en anciens
francs français devait couvrir l’ensemble des frais inhérents au voyage.
Parmi les mesures de prudence, prodiguées
par le passeur à sa clientèle, celle consistant à se munir d’un billet de train
destiné au « retour », figurait parmi les plus importantes à observer.
Ce billet qui ne sera jamais utilisé, encore
moins remboursé, constituait une preuve à exhiber à la police des frontières,
quant aux intentions du voyageur concernant
sa démarche visant un séjour touristique court et provisoire en France ou
en Belgique.
La
seconde précaution, indispensable à observer résidait dans la possession de
sommes d’argent susceptibles d’accréditer la démarche « touristique
« du candidat à un séjour clandestin et prolongé en Europe.
Ces milliers de pesetas ou d’anciens francs
français étaient destinés à être présentés aux pandores des frontières de ces
deux pays, comme gage de bonne foi du touriste se dirigeant vers la Belgique, pour "rendre une
visite aux membres de sa famille séjournant régulièrement dans ce pays" et dont
il fallait disposer de la photocopie de la carte d’identité afin d’éviter toute
suspicion douanière.
Il n’était d’ailleurs pas rare que, de
connivence avec les navetteurs, des policiers aux frontières, refoulaient
certains passagers pour différents motifs.
Ces refus d’autoriser les touristes à
pénétrer en territoire espagnol ou français faisaient partie d’un plan concocté
par les navetteurs et les policiers, plan destiné à soutirer un bakchich
non négligeable à ces pauvres candidats à l’émigration.
Devant ces refus et les « conseils désintéressés »
de leur passeur, ceux-ci n’hésitaient pas à « faire cadeau » d’une
bonne partie de leurs économies aux
gardes frontières, décidés à les renvoyer vers leur pays d’origine.
De temps à autre, les navetteurs,
prétextant des frais supplémentaires, encourus pour une prétendue panne de leur
véhicule, réclamaient des suppléments en argent sonnant et trébuchant aux pauvres quidams, incapables dans leur
situation, de refuser ce genre d’exigence.
Cette pratique avait souvent lieu lors d’un
changement de passeur, intervenant en cours de route.
De fait, il était fréquent que les navetteurs
conviennent entre eux d’un lieu situé en France ou en Espagne, pour opérer des
transbordements de voyageurs.
Et c’étaient souvent les nouveaux passeurs,
ayant reçu partie de la cargaison devant continuer la route, qui recouraient aux
augmentations plus que sensibles des tarifs convenus au départ, prétendant
arbitrairement, que tels étaient les accords conclus avec le précédent passeur,
leur ayant fourgué sa cargaison humaine, destinée aux entreprises européennes.
Toutes ces vicissitudes et bien d’autres
humiliations et arnaques, les candidats au départ vers l’Europe devaient les
subir sans broncher ni protester, de peur de se voir abandonnés à leur propre et
triste sort, dans des contrées qui leur étaient inconnues.
Ces pratiques nauséabondes, bien que
répercutées auprès des dizaines de milliers de candidats au départ vers
l’Europe, ne décourageaient en rien ces pauvres bougres, pour qui aucune autre
solution à leur situation de misère et
de dénuement, ne pouvait se substituer à ce rêve tenace et obsessionnel
que constituait l’aventure européenne.
Les familles des candidats à l’exil ne
lésinaient pas sur les moyens pour aider leurs jeunes fils à partir.
Les mères
y allaient de leur bijoux si chèrement acquis ou reçus comme dot, offerte lors du mariage et sensée ne faire l’objet d’aucune transaction.
Les pères, eux, devaient très souvent
recourir à des emprunts auprès de connaissances ou d’amis pour augmenter les
ressources financières de leurs jeunes enfants candidats à ce plongeon dans
l’inconnu.
Beaucoup durent hypothéquer leur maison,
leur lopin de terre ou leur champ, pour parvenir à concrétiser ce rêve, se
disant que de toute façon, l’argent qu’ils récolteraient en Europe en un temps
record, permettra à coup sûr de récupérer leur bien hypothéqué.
Pour ceux qui avaient déjà fondé une
famille, il fallait également penser aux enfants restés au pays.
Car, au-delà de cette déchirure
sentimentale occasionnée par la séparation, le père se devait de confier à sa
jeune épouse une partie des économies dont il disposait pour lui permettre de
veiller pendant son absence, à la couverture des besoins de la petite famille.
Beaucoup d’immigrés marocains de cette
génération me racontaient avoir d’abord essayé de passer par la
filière »officielle » des contingents sélectionnés par les services
consulaires et patronaux, présents au Maroc pour cette opération, mais furent recalés en raison de leur statut de père de famille.
Les recruteurs ne retenaient que les
célibataires comme candidats au départ pour la Belgique.
Nombre
d’entre eux durent recourir à des formules moins honnêtes et plus tortueuses
pour effectuer quand même ce départ.
Abdeslam, marié à cette époque et père de
deux enfants, paya le prix fort au Mokaddem (chef du quartier) de quartier, pour se voir délivrer
un document attestant de son célibat, document qu’il utilisa pour
l’ensemble des opérations nécessaires à l’obtention des documents requis pour
le départ pour la Belgique.
Beaucoup, d’ailleurs firent comme lui et
régularisèrent bien plus tard leur situation au Maroc par le truchement d’un
paiement à l‘administration de l’état civil.
Celle-ci effaçait les traces de
leur mariage conclu avant le départ vers la Belgique et procédait à l’enregistrement d’un
nouveau mariage.
Ainsi allait le Maroc à cette époque et il
faut bien avouer que ce système de corruption et de passe droit, même s'il a changé dans les formes, a encore et
pendant longtemps de beaux jours devant lui.
Il va sans dire que durant la traversée de 3 jours vers la Belgique, les passagers des camionnettes des navetteurs, serrés comme des
sardines, ne pouvaient en aucun cas déroger au » règlement »
draconien établi par le chauffeur.
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