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« La laïcité est le seul système où les religions peuvent cohabiter »
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La nouvelle donne du paysage politique marocain réveille l’éternelle question : la laïcité peut-elle être marocaine ? Ahmed Assid, philosophe et membre de l’Observatoire amazigh des droits et des libertés, répond à nos questions.
Laïcité, sécularisme. Quelles différences entre les deux notions ?
Assid : J’avoue qu’au Maroc nous avons encore du mal à faire la différence entre ces deux mots. La laïcité est le fait que l’Etat sépare la société civile de la société religieuse. La laïcité n’est pas occidentale, elle est universelle et se manifeste sous des formes différentes.
Il existe aussi des formes culturelles et nationales de la laïcité. Dans les tribus amazighes, par exemple, le droit coutumier ne se plie jamais aux sanctions de la loi musulmane.
L’imam de la mosquée est consulté, certes, mais dans sa sphère privée. Du coup, Il n’est jamais intervenu dans une décision sociale, économique ou politique. La sécularisation, par contre, c’est le fait de séparer ce qui est terrestre de la foi divine.
Plusieurs philosophes arabes, tels Al Faraby et Ibnou Sina, ont fait allusion à cette notion de sécularisation. Ils parlaient de la politique de la raison et la politique de la Charia.
Que suppose le fait qu’un pays soit laïc ?
Assid : Nous devons tout d’abord apprendre à respecter les libertés individuelles et le droit à la différence et surtout un respect de l’Autre en tant que tel.
Dans un pays non laïc, l’Etat peut imposer une certaine religiosité, une certaine surveillance. Il est impossible de se proclamer démocratique si l’on n’est pas laïc.
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A quel moment de l’Histoire, le Maroc s’est retrouvé en train de marier religieux et politique ?
Assid : Juste après l’arrivée de Lyautey. Il a installé les institutions d’un Etat-nation, d’un Etat moderne, tout en respectant les institutions conservatrices du Makhzen.
Après 1956, nous avons hérité d’un Etat schizophrène. C’est vrai que le protectorat bousculait de temps en temps les traditions mais les réactions extrémistes des ouléma ne se faisaient pas attendre.
Je peux citer Abouchouaib Addoukali qui était à l’époque contre la modernité, contre la banque, contre les productions artistiques. Mais on voit que les choses se sont relativement améliorées. Heureusement.
«Si l’on tient compte des 3 500 juifs, pourquoi ne pas prendre en considération les 150 000 chrétiens qui vivent au Maroc ? ».
Mais, dans l’Histoire contemporaine du pays, nous remarquons ce retour du religieux, cette affirmation de la commanderie des croyants. Pourquoi ?
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Assid : Le Makhzen n’a pas disparu. Il n’a pas non plus été démonté. Il est l’essence même de l’Etat conservateur et rejette la laïcité mais il n’hésite pas, quand cela l’arrange, d’introduire certains aspects séculaires.
Les exemples les plus marquants restent l’école mixte, l’aspect vestimentaire moderne des femmes d’aujourd’hui, l’abolition de l’esclavagisme, etc…
Ceci dit, le Makhzen peut se débarrasser de la légitimité religieuse s’il y a un vrai débat avec la société, qui devrait faire pression et exprimer son désir de plus de sécularisation ou carrément un système politique laïc.
La gauche, notamment l’USFP et le PPS, a fait pression pour que le Maroc aille dans ce sens mais ce n’est pas tout. Si nous arrivons à réformer l’enseignement et libérer les médias, on aura une monarchie laïque sous la coupole même de la Commanderie des croyants. Si l’on tient compte des 3 500 juifs qui sont croyants, pourquoi ne pas prendre en considération les 150 000 chrétiens qui vivent au Maroc ? La commanderie des croyants, ainsi que la nouvelle Constitution, ne veillent-t-elles pas à ce que chacun pratique librement sa religion ?
Est-ce une fatalité de dire que le Maroc ne pourra jamais muter d’une sécularisation latente à une laïcité patente ?
Assid : Tant qu’il y a un dynamisme social pour les droits de l’Homme, un respect des libertés individuelles, des libertés de productions artistiques, de l’égalité, je peux vous assurer que nous allons vers plus de dignité pour l’être humain. Une laïcité à la marocaine est donc possible.
Une sécularisation plus profonde risque-t-elle de désorienter les Marocains et perturber les décisions du Palais ?
Assid : Pas du tout. Tout cela reste lié à une réforme radicale de l’enseignement. Une sécularisation parfaite se fait dans la transmission de la connaissance de plusieurs écoles et courants de pensée connus pour leurs valeurs morales universelles de la tolérance et le respect de la différence et d’autrui.
Du moment qu’on est tolérant, l’on devient séculaire dans notre quotidien. Chez nous au Maroc, le respect de l’autre peine à exister car l’enseignement véhicule des valeurs contradictoires.
Si l’on prend par exemple le manuel de l’éducation islamique, on peut voir dans une première leçon un hadith du Prophète qui incite les fidèles à copuler.
La page suivante parle contradictoirement du contrôle des naissances. Une autre page parle de la fraternité entre les trois monothéistes.
La page suivante parle bizarrement de la suprématie de l’islam et « des erreurs fatales » des deux autres monothéistes. Ce système-là d’enseignement est extrêmement dangereux !
Le PJD a-t-il peur de la laïcité ?
Assid: Oui. Bien sûr. Tous les islamistes ont en peur. Leur objectif n’est-il pas de lutter contre la laïcité car elle est la religion du kafer (mécréant, ndlr) ? Mais ces gens-là ont tort car ils parlent de la laïcité de l’Occident, ce qui est tout à fait faux. La laïcité peut s’adapter à n’importe quel pays.
Benkirane est lui-même séculaire, il n’est tout de même pas archaïque, mais n’ose pas la laïcité car il croit que la laïcité est contre la religion alors que la laïcité est le seul système où toutes les religions peuvent cohabiter.
Au Maroc, qui des Arabes ou des Amazighs ont a priori un référentiel laïc proche du modèle turc ?
Assid : Evidemment, la réponse est claire. Ce sont les Amazighs qui arrivent aujourd’hui le plus à séparer le terrestre du divin. L’imam n’a pas à gérer les affaires d’un pays. Sa besogne reste les affaires religieuses.
De plus, le discours amazigh est moderne dans ce sens : contre l’arabisation et pour un multilinguisme.
Les Turcs vivent dans cette logique là maintenant. Ils prônent la langue turque. Avant, durant l’empire Ottoman, c’était la torture et le carnage dès qu’on soulevait ce type de réflexions modernes.
La rupture avec l’Orient et le nationalisme arabe a permis à la Turquie d’être un modèle laïc constamment applaudi.◆
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