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Ces Marocain(e)s qui disent Non
.Publié par Tel Quel
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4 + 9 = 13. Quatre hommes
et neuf femmes ont accepté de témoigner, à visage découvert, de leur révolution
personnelle, intime, singulière. Ils sont jeunes et inconnus pour la plupart.
Ils ressemblent à tout le monde et à tous les autres, mais ils ne font pas et
ne pensent pas forcément comme les autres. Ils sont différents.
En invitant ces voix à
s’exprimer, TelQuel met en avant la différence comme source de richesse. Il
s’agit de prêter attention et d’écouter ces individus, ces voix plurielles,
sincères, ces femmes et ces hommes dont les témoignages peuvent parfois
surprendre, heurter, mais très souvent toucher et inviter à la réflexion. Bonne
lecture… K.B
Aadel
Essaadani, 45 ans, militant et acteur culturel
“Je ne
me cache pas pour boire”
Beaucoup de nos compatriotes boivent de
l’alcool mais ne l’assument pas. Ce comportement incarne, à sa manière, la
schizophrénie du sous-développement et perdure car l’individu n’existe pas
encore véritablement chez nous.
Le Marocain moyen préfère cultiver une image
de “saint”, en famille comme en société. Et quand il succombe à des tentations
humaines, il préfère se cacher pour ne pas heurter.
En ce qui me concerne, je refuse de me
cacher pour boire, ni même d’utiliser ces fameux sacs en plastique noir dans
lesquels les marchands d’alcool emballent les bouteilles.
Ces mikate sont l’emblème même de blad
schizo : tout le monde sait qu’elles contiennent du vin, de la bière ou du
whisky, mais tout le monde fait semblant de ne rien voir.
Et la situation devient pathétique lorsque
la personne qui a ces mikate entre les mains tombe sur des flics ; ces derniers
ne se soucient pas tant de la dimension halal/haram que d’obtenir leur part du
gâteau...
Personnellement, je me suis révolté tout
petit contre cet état de fait, qui veut qu’on peut tout faire à condition de ne
jamais rien dire ou montrer. Observant la dichotomie comportementale des
adultes, je ne comprenais pas qu’ils n’assument pas un fait que nul n’ignorait.
Je considérais ces non-dits et cette hypocrisie
comme un manque de courage, de lâcheté pure et simple. Le Maroc est un pays à
références multiples, depuis des siècles. Un pays ouvert à la modernité et sûr
de ses origines et références.
Mais il y a aujourd’hui une tendance à
hiérarchiser les références, entre tradition et modernité, par exemple ! Le
gouvernement et les institutionnels placent l’islam comme référence supérieure
et donnent la légitimité, dans une démarche populiste, aux pratiquants de
décider des comportements des autres...
Il y a là de quoi nourrir les bases d’une
éventuelle “guerre civile”, dès lors que l’on met sur la balance le respect des
minorités, des libertés individuelles... et l’islam. Sans oser parler de
laïcité ou de sécularisation.
Leila
Hafyane , 36 ans, écrivain
“Je ne
cache pas mes amours”
J’ai rendez-vous avec mon homme, l’aimé d’un
été, et ça se voit. Il m’attend chez moi. Mon arrivée réveille le gardien de
voitures de ma rue. Il me voit. Je me gare. Il sort de sa torpeur et m’indique
une place.
Ses grands gestes m’agacent : bien sûr que
je l’ai vue ! Comment aurais-je pu la rater ? C’est la seule place de libre
devant l’immeuble. Il s’approche, m’ouvre la portière et me demande comment je
me porte depuis la dernière fois.
“Ghbrti ! Tu as disparu !” Le voilà
perquisitionnant l’espace, mon espace et ma vie privée. Il poursuit : “Votre
ami est arrivé, depuis une heure déjà”.
Il hoche la tête dans la direction du balcon
du premier étage, avec un sourire, un sourire très large dans lequel on peut
accrocher une bonne poignée de qualificatifs. Je souris aussi à la complicité
imposée.
Je souris de son intrusion dans mes amours.
Il ferme ma portière. Me voilà escortée —de quel droit ?— par un jeune sans
âge. “Tu devrais attendre que Lhaj (concierge) aille prier avant de passer la
porte de l’immeuble. L3asr est dans quelques minutes”, insiste-t-il.
Le sourire verdit, en rictus, s’évanouit. Je
dois donc rendre des comptes au concierge aussi ?
Pas question pour moi de la jouer en
catimini ! “T’inquiète pas pour moi”, dis-je pour contrer son pas, son verbe.
Dans ma tête, je pense : “Tu as l’air très jeune et ton regard te vieillit, il
est vide comme le compte que tu veux que je rende, de mes actes rangés, de mon
être effacé, au père, au frère et aux anonymes mâles qui peuplent les rues”.
A quelle limite de cette folie ordinaire
cherchent-ils à nous traîner ? Biaiser toujours, biaiser tout le temps, jusqu’à
l’épuisement, la mort, c’est ce que vous voulez de nous.
Mais je refuse d’entrer dans ce jeu de
dupes, baisser la tête, fuir les regards sous prétexte que j’ai rendez-vous
avec un homme chez moi. C’est moi, c’est lui et cela ne regarde que nous.
Il y a longtemps que j’ai dit STOP, SAFI,
BARAKA à cette hypocrisie. Libre comme l’air, l’air de rien, tout simplement.
Malgré vous. J’arrive devant l’immeuble. Je dis salam au concierge à la barbe
rousse et crépue.
J’envoie mon doigt écraser le bouton de
l’interphone, comme j’aimerai écraser ses lamentations funèbres. De son poste
de contrôle, le vieux fusille mes sandales d’une salve de griefs, sa gueule
tirée traîne par terre, il marmonne un “A3oudou billah mina chaytane rajjime”
clair et audible.
C’est son baroud d’honneur contre la femme
que je suis, contre le désir qui ondule sous mes talons, papillonne sous ma
jupe, réverbère mon souffle. Je l’ignore, je m’assume et monte rejoindre mon
homme.
Ibtissam
Betty Lachgar, 36 ans, psychologue clinicienne – psychothérapeute
“Je ne
fais pas le ramadan”
L’inquisition socio-religieuse et les
dispositions juridiques iniques étouffent ma liberté. Le mois de ramadan, par
exemple, même s’il n’est pourtant qu’une des parties visibles de l’iceberg.
L’article colonial 222 (établi par le maréchal Lyautey) condamne de 1 à 6 mois
de prison ferme “toute personne notoirement connue pour son appartenance à
l’islam” qui rompt ostensiblement le jeûne en public. Cet article est d’un fascisme
scandaleux.
Qui décide de qui est musulman et de qui ne
l’est pas ? Quels sont les critères ? Le nom ? Le faciès ? La loi du Talion ?
Par ailleurs, je ne suis pas croyante, je ne suis pas musulmane, je ne me sens
donc pas concernée.
Mais je refuse les contraintes sociétales,
donc religieuses. Depuis septembre 2009, l’étiquette de membre des “déjeuneurs
du ramadan” me colle à la peau.
J’ai reçu des insultes, des menaces et des
tentatives d’intimidation, suite à l’organisation avec d’autres membres de MALI
(Mouvement alternatif pour les libertés individuelles) d’un pique-nique, que
nous voulions, je le rappelle, symbolique.
Et non pas seulement de la part d’inconnus,
mais aussi de la part de membres de mon entourage. Mais j’assume mon acte. Parce
que je refuse l’atteinte à mon libre-arbitre. Je refuse l’infantilisation.
La religion relève de la sphère privée et ne
doit en aucun cas concerner l’Etat. Je suis pour la séparation de la religion
et de l’Etat, je suis pour un Etat séculier. Je refuse toute forme de
discrimination.
Je refuse la législation marocaine
outrageusement inégalitaire, véritable spoliation en matière d’héritage par
exemple. Je refuse l’article 19 de la Constitution “L’homme et la femme
jouissent, à égalité, des droits et libertés (…) dans le respect des
dispositions de la Constitution, des constantes et des lois du Royaume”.
Comprendre “dans le respect de l’islam”. Je
refuse l’unique possibilité, sectaire, pour la femme d’épouser un musulman. Je
refuse donc la seule voie du mariage religieux et prône l’existence d’un
mariage civil. Je refuse une loi divine supérieure.
Je refuse l’article de loi moyenâgeux
condamnant les rapports sexuels hors mariage au nom de la religion. Je refuse
l’ensemble des lois liberticides, homophobes, misogynes et patriarcales.
Un archaïsme rampant qui gangrène la
société. Je respecte les croyances de chacun, mais je refuse qu’un Etat (le
Maroc en l’occurrence) m’impose un mode de vie fondé sur des préceptes
religieux qui ne sont pas les miens.
Imane E.
Arouet, 24 ans, responsable éditoriale
“Je suis
athée”
A 24 ans, je fête les dix ans de mon apostasie.
Dix ans que j’ai peu à peu sombré dans un déisme voltairien avant de basculer
vers un athéisme convaincu, réfléchi, alimenté de lectures philosophiques et
théologiques.
Dix ans que je me heurte à un rejet de la
part d’une partie de mes concitoyens. à mesure que mes doutes se formaient et
que mes questionnements se formulaient, j’ai progressivement été victime d’un
réel ostracisme. Je n’étais pas prise au sérieux, je ne pouvais qu’être une
“paumée”, infréquentable de surcroît.
Ma curiosité était qualifiée de “foi
fragile”, de manipulation démoniaque. C’est l’ennui, dans un pays musulman :
dès lors qu’elles touchent au religieux, l’honnêteté intellectuelle et la
volonté sincère de ne pas passer pour ce qu’on n’est pas sont assimilées à une
corruption démoniaque et à une décadence éhontée. à Casablanca, où l’hypocrisie
sociale est à son comble, il est parfaitement convenu et socialement accepté
d’être un “mauvais” musulman, au sens strict.
Convenu de ne pas prier, de boire, tant
d’actions qu’un “bon” musulman rechignerait à faire.
Pourtant, quand il s’agit de poser quelques
questions, les gens sont mal à l’aise ou ouvertement hostiles, injurieux,
certains n’hésitant pas à rappeler que le meurtre d’un apostat est légitime aux
yeux de Dieu. En particulier, une chronique pour le site d’actualités Slate.fr
(Moi, Arabe, athée), m’a valu beaucoup de mails haineux et de menaces de mort.
Je continue cependant d’assumer mon
scepticisme religieux sur Internet, principalement parce que je reçois
également des messages de soutien, de la part d’une minorité silencieuse qui me
remercie de parler en son nom.
Dans la vie de tous les jours, j’assume
également pour des raisons pratiques : cette apostasie, à force d’être
socialement combattue, est devenue une composante principale de ma
personnalité.
L’omettre reviendrait à mentir. Je pense
avoir le droit de jouir d’un entourage qui m’accepte telle que je suis : ça ne
pose donc pas de soucis à mon cercle d’amis dans sa configuration actuelle.
Côté famille, c’est plus compliqué. Ma très
pieuse mère voit d’un œil désespéré mon désintérêt pour la chose religieuse et
ne cesse, avec une bienveillance relative, de me rappeler à l’ordre en espérant
que je retrouve “le droit chemin” (Allah yehdik).
Le reste de ma famille, croyante, a le bon
goût bienvenu de ne pas (trop) opiner sur le sujet.
Rayan
Benhayoun, 23 ans, étudiant en école de commerce
“Je ne
cache pas mon homosexualité”
Je me suis rendu compte de mon homosexualité
vers l’âge de 12 ans. Je n’avais jamais eu de sentiments pour une fille, je ne
me sentais pas comme un garçon de mon âge dit “normal”. à ce moment-là, j’ai su
que j’étais différent.
Que j’étais gay, et que je ne l’avais pas
choisi. Et c’est à partir de là que j’ai commis, je pense, l’une des plus
grosses erreurs de ma vie. J’ai nié, j’ai refoulé. Depuis ce jour, j’ai vécu
une véritable torture mentale.
J’y pensais tout le temps. Et j’effectuais
un énorme travail sur mon mental. Je me forçais à être hétérosexuel. Bien
entendu, cela n’aboutissait pas. J’ai fait mon “coming-out” à 16 ans, non pas
par courage mais plutôt par lassitude.
Je n’en pouvais plus de vivre dans
l’hypocrisie et dans le mensonge tout le temps. J’en avais marre de cacher ce
mal-être, et de me cacher derrière ce masque de “Rayan mec tout à fait banal”.
Je n’avais plus envie d’être un lâche ! Pour
les membres de ma famille, cela a été le choc de leur vie. Cette révélation a
eu l’effet d’une bombe, et j’ai entendu les propos les plus violents et les
plus horribles de toute ma vie.
Ce n’est qu’après un exil et des années
écoulées que notre relation a renoué avec la normalité.
L’homosexualité ne se vit clairement pas de
la même manière partout. Au Maroc, elle pâtit encore d’images réductrices et
caricaturales.
L’État et la société sont homophobes.
L’homosexualité est un délit puni de trois ans d’emprisonnement.
Je suis très en colère contre mon pays qui
ne respecte pas la Charte des droits de l’homme qu’il a signée, qui ne me
permet pas de vivre dans la dignité et me traite comme un citoyen de seconde
zone, alors que j’ai les mêmes obligations que les autres.
Je sais que l’égalité des droits n’est pas
pour bientôt, surtout au sein d’une société largement homophobe et hypocrite,
qui n’est pas assez mature intellectuellement pour faire preuve de tolérance et
penser à l’être humain qu’est tout homosexuel.
Hind
Bariaz, 35 ans, professeur d’anglais
“J’ai le
droit d’avorter si je le souhaite”
Mon corps m’appartient et l’avortement est
mon droit. Je le dis et je le crie haut et fort, d’autant que je l’ai vécu.
J’ai avorté et je ne m’en cache pas. Mon
compagnon et moi étions très sereins face à cette décision, que nous avons
prise d’un commun accord, car avoir un enfant ne correspondait simplement pas à
nos projets et cette grossesse était un “accident”.
Nous avons donc réagi en adultes et de
manière pragmatique. Notre seul vrai souci était de réunir la somme nécessaire
pour avorter, ce qui était loin d’être facile vu le prix de l’opération, et de
trouver un médecin qui accepte de le faire.
“Il suffit d’écouter les femmes”, affirmait
Simone Veil, en 1974, pour défendre au parlement français le projet de loi pour
légaliser l’avortement. Des milliers de femmes avortaient clandestinement
chaque année à l époque en France, comme elles continuent de le faire au Maroc.
Des milliers de femmes subissent ainsi la
solitude, la souffrance physique et l’opprobre de toute une société. Simone Veil
parlait pour toutes ces femmes qui, dans leur immense majorité, se taisaient.
Comme chez nous. II suffit d’écouter les
femmes... Mais encore faut-il qu’elles parlent. Aujourd’hui, moi je le fais.
Pour toutes celles qui se sont fait avorter. Pour leur détresse.
Pour qu’elles n’aient plus à subir cette
terrible angoisse et la culpabilité. Pour qu’on ne trouve plus de bébés dans
les poubelles. Pour qu’elles ne meurent plus en s’empoisonnant avec des herbes,
ou en s’enfonçant des aiguilles à tricoter parce qu’elles n’ont pas trouvé 3000
dirhams pour payer leur avortement chez un médecin.
Pour la liberté d’aimer. De vivre. Chez
nous, on crie au meurtre dès qu’on parle d’avortement en oubliant vite les
milliers d’enfants abandonnés dans la rue.
En conclusion, j’aimerais reprendre ce bon
mot de Guy Bedos : “Si on écoutait les opposants à l’avortement, on tricoterait
des brassières aux spermatozoïdes”.
Zineb El
Rhazoui, 31 ans, journaliste
“J’aurais
pu épouser un juif”
On s’entend, c’est dans une autre vie que ça
aurait pu arriver ! Ou plus justement, dans un autre pays.
Au Maroc, il ne suffit pas de s’aimer et de
vouloir s’unir pour le meilleur et pour le pire…
Le code du statut personnel vient se mêler
de la vie des gens, et surtout de leur foi. Quand bien même elle le
souhaiterait, il est interdit pour une Marocaine d’épouser un homme de
confession non musulmane, même s’il s’agit d’un compatriote.
En revanche, un Marocain peut épouser la
femme de son choix… Pourtant, cette loi prétendument basée sur les préceptes
coraniques contredit clairement le verset 221 de la sourate de la Génisse qui
traite de la question du mariage avec les non-musulmans.
Ce verset s’adresse indistinctement aux
hommes et aux femmes, en leur enjoignant qu’il est “préférable” d’épouser une
personne “croyante”.
Les juifs sont croyants à ce que je sache !
Pour ma part, j’ai vécu une très belle histoire avec un juif marocain, un homme
qui a beaucoup compté pour moi.
Je ne suis pas croyante, et l’appartenance
religieuse n’entre absolument pas en ligne de compte pour moi lorsqu’il s’agit
de choisir mon partenaire.
Je peux être bien plus épanouie avec un juif
qui partage mes convictions plutôt qu’avec un musulman à qui tout m’opposerait.
Si les circonstances n’en avaient pas décidé
autrement, j’aurais parfaitement pu l’épouser.
C’est interdit au Maroc, mais nous aurions
bien trouvé une parade juridique, sans qu’il ne fasse une conversion de
complaisance à l’islam, comme l’exige hypocritement la loi.
Le film Marock a défrayé la chronique parce
qu’il relate l’histoire d’amour d’une adolescente musulmane avec un adolescent
juif, pourtant, il ne s’agit pas d’un cas si isolé que l’on pourrait penser.
Ce n’est pas non plus un épiphénomène
réservé à la jeunesse dorée, il suffit de faire un tour dans les amphithéâtres
des universités parisiennes, où nos compatriotes musulmans et juifs se
côtoient, pour constater qu’au-delà des clivages communautaires, ces amours
extra-canoniques s’épanouissent librement.
Certes, les choses se compliquent au moment
de rentrer au bercail, mais je connais bien quelques couples, entre Casablanca
et Rabat, qui ont adopté pour philosophie de vie la maxime “vivons heureux,
vivons cachés”.
Farah
Abdelmoumni, 23 ans, étudiante en communication
“Je suis
contre le voile”
Récemment, la mère d’une amie m’a dit :
“Farah, tu es une fille droite, avec beaucoup de belles choses en toi.
Quel dommage que tu ne sois pas mouhtajiba,
autrement tu serais la fiancée parfaite pour mon fils…” Au début, j’ai cru
qu’elle plaisantait. Et puis, à son air grave, j’ai compris que non. Cette
remarque m’a atterrée.
Non pas que je sois intéressée par le fameux
bachelor, loin de moi cette idée. Mais j’étais triste de prendre conscience que
le voile était pour elle un gage de respectabilité et de sérieux.
J’ai compris alors pourquoi tant de filles
absolument pas pieuses finissent par adopter cet arnachement de dévots. Pour
pouvoir décrocher le gros lot, un 3riss digne de ce nom, elles essaient, en
désespoir de cause, d’appliquer à la lettre le cahier des charges de la
parfaite candidate au mariage.
Un cahier des charges dicté par une société
machiste et patriarcale, dont le seul souci est de donner des garanties, même
illusoires, sur la pureté de la future mariée. Et cela passe de plus en plus
par le voile.
Mais ces filles qui se voilent se condamnent
et condamnent la société marocaine à rester emprisonnée dans ses carcans
conservateurs, rétrogrades. Taha Hussein a écrit : “Seules des femmes
émancipées donneront des générations d’hommes libres”.
Au Maroc, nos femmes sont loin d’être
émancipées, au contraire, elles se positionnent en gardiennes du sérail.
De mère en fille, en acceptant de se plier à
des préceptes -tels que le voile- qui nient leur identité, ce qu’elles sont
dans leur essence.
Les femmes sont faites de chair et de formes
et il n’y a aucune raison de les cacher sous prétexte qu’elles suscitent le
désir et l’envie.
Car ne nous leurrons pas, ceux qui défendent
le voile ont avant tout un problème avec la sexualité. Mais cela, la majorité
refuse de le reconnaître.
Porter un voile sur la tête, cacher ma
chevelure, occulter tous les attributs qui donnent à voir au monde extérieur
que je suis une fille est une aberration à laquelle je refuse de me plier.
Certes, je n’ai pas eu à me rebeller contre
les miens puisque j’ai grandi dans un milieu où la liberté de conscience a
toujours été le maître-mot. Mais tous les jours, lorsque je marche, les cheveux
aux vents et le corps dévoilé, je suis harcelée, agressée.
Pourquoi devrait-on subir ça en tant que
femme ? Et pourquoi, pour avoir la paix, la seule solution serait de porter un
zif sur la tête ? Pourquoi ce ne serait pas plutôt aux hommes de changer le
regard qu’ils portent sur nous ?
Yasmine
Ghallab, 50 ans, professeur de mathémathiques
“J’ai eu
un enfant sans être mariée”
Il m’est souvent arrivé de faire des choix
de vie jugés peu communs. Et celui d’adopter un enfant, en tant que mère
célibataire, a été le plus important.
Cette idée a germé doucement avant de céder
à une décision qui a été longuement mûrie. Un jour, une amie m’apprend avoir
adopté, avec son mari, ses 3 enfants dans un orphelinat de Tanger. J’ai
commencé alors à voir le balbutiement de mon projet.
Elle me dit tellement de bien de cet endroit
que j’ai décidé de m’y rendre. A l’été 2009, alors que je venais d’emménager,
j’ai alors décidé de visiter l’orphelinat. J’ai été agréablement surprise et
j’ai su tout de suite que c’est de là que j’allais adopter.
Les enfants y étaient bien portants et bien
traités, par une équipe remarquable. En mai 2010, j’ai alors fixé un
rendez-vous pour m’inscrire en liste d’attente. Je pensais que cela prendrait 2
mois et me permettrait de me préparer.
Je venais à peine de rentrer auprès de la
directrice qu’elle demandait déjà à son assistant de lui amener un bébé de 3
semaines, arrivé peu avant ma prise de rendez-vous. Je reçus ce petit bébé dans
les bras, tout à fait surprise de la tournure des évènements, précipités et
inattendus.
La directrice m’expliquait que, grâce à la
Kafala provisoire, je pourrais avoir l’enfant dans 15 jours. Je suis sortie du
bureau avec le bébé endormi dans mes bras mais sans avoir pu dire un mot.
J’ai passé le week-end à l’orphelinat et
l’ai quitté en donnant ma confirmation d’adoption du petit Hadi. Les procédures
de la Kafala définitive et de changement de nom (Hadi porte mon nom) ont pris
environ une année.
Ce projet de vie a fait le tri dans mes
relations, entre celles qui m’accompagnent et me soutiennent, et celles qui ne
le font pas. J’ai aussi connu d’autres amies, certaines célibataires, d’autres
divorcées qui ont fait ce choix pour réaliser leur envie d’adoption.
Aujourd’hui, mon fils Hadi a 2 ans. Il est
de tempérament gai, marrant et a l’air bien heureux et épanoui. De mon côté, si
cette décision a chamboulé ma vie, je suis pleinement heureuse de cet
évènement.
Pour moi, la famille est essentielle et je
veux en donner une à Hadi. Mon prochain projet est d’adopter un autre enfant.
Dernièrement, j’ai reçu ma première carte de Fête des mères. La vie est bien
belle !
Nizar
Bennamate, 26 ans, journaliste
“Je
refuse l’idée d’être musulman de naissance”
Certes, nous héritons tous de la religion de
nos parents. Mais arrive un moment où chacun doit s’interroger et user de son
intelligence pour trancher, faire ses choix.
Non, la liberté de conscience n’est pas
l’affaire d’une minorité, elle doit être l’affaire de tout le monde.
En commençant par les Marocains qui désirent
pratiquer leur religion sans la tutelle de l’état fixant la Sunna et le rite
malékite comme doctrines officielles, en passant par les salafistes qui puisent
dans le wahhabisme, ceux qui souhaitent se convertir à une autre religion, ou
encore ceux qui ne veulent appartenir à aucune.
Tout le monde est concerné par cette liberté
puisqu’elle concerne l’intimité de chacun. Dès que l’on retire aux citoyens la
liberté de pratiquer leur religion comme ils l’entendent, ou de n’en pratiquer
aucune, la brèche est ouverte à une série d’interprétations aussi diverses que
contradictoires de ce que devrait être le fait religieux.
La plupart des Marocains ne se reconnaissent
ni dans les fatwas d’Al Qaradaoui, ni dans les envolées lyriques de Fizazi, et
encore moins dans les décisions du Conseil des ouléma. Les Marocains veulent
pratiquer la religion comme leur conscience le leur dicte, sans tutelle aucune.
En un mot, avec une autonomie de jugement. Une
chose qui m’a toujours marqué : alors que l’alcool est censé être interdit aux
musulmans, la majorité de ceux qui le consomment sont musulmans ou réputés
comme tels.
Quelle relation me diriez-vous ? La
reconnaissance de la liberté de conscience ferait que l’état n’interviendrait
plus dans la sphère de la spiritualité individuelle (qui relève de la sphère
privée).
Et donc les lois à vocation publique ne
prendront plus en considération l’appartenance religieuse.
Sans quoi, elles deviendraient contradictoires
avec ce même principe de liberté de conscience. Pour moi, la foi est par
définition un choix qui ne doit jamais être fait sous la contrainte. Le fait de
ne pas reconnaître cette évidence revient à renier la réalité de l’être humain.
Omar
Louzi, 47 ans, consultant en environnement et développement durable
“Je ne
suis pas contre l’Etat d’Israël”
Je suis allé en Israël et en Palestine. Et
j’ai compris que les peuples israélien et palestinien veulent vivre en paix, et
que ce sont les politiciens de tous bords qui perpétuent le conflit.
Le drame israélo-palestinien dure car il est
basé sur deux visions racistes de ce conflit. Je suis un humaniste, donc je
suis pour deux Etats indépendants, souverains.
Je suis contre l’extrémisme de Hamas et de
celui des Israéliens intégristes. Je milite pour une paix juste et équitable.
Je suis toujours choqué quand je vois un
enfant, une femme, ou un vieillard tués, qu’ils soient palestiniens ou
israéliens.
Je considère d’ailleurs que j’ai plus
d’affinités culturelles et linguistiques avec les juifs amazighs d’Israël
qu’avec les Palestiniens.
Nous célébrons les mêmes fêtes, et nous
mangeons tous les deux le couscous et le tajine, deux inventions purement
amazighes nord-africaines…
C’est pour cela que je milite pour qu’ils
reviennent dans leur pays d’origine : le Maroc. Je propose que l’Etat d’Israël
rende leurs terres aux Palestiniens en contrepartie du rapatriement du million
de juifs amazighs qui vivent en Israël.
Ces juifs amazighs veulent rentrer au Maroc,
retrouver les odeurs, les paysages de leur enfance.
Et cela malgré presque 60 ans d’exil. Ils
continuent à parler le tamazight avec beaucoup de bonheur.
Alors que ceux que j’appelle les
panarabistes marocains, qui sont ici depuis quatorze siècles, peinent même à
dire “bonjour” en amazigh.
C’est une honte ! Oui, je suis anti-panarabiste.
Parce que le panarabisme est une idéologie raciste, fasciste, qui repose sur la
suprématie de l’homme, de la langue et de la culture arabes.
Les Palestiniens n’auront jamais leur
indépendance s’ils continuent à lier le conflit avec Israël à leur race arabe.
Moi, je ne suis pas arabe ! Alors dois-je
être solidaire avec le peuple palestinien ? Moi je dis oui.
Mais c’est du fait de ma position humaniste.
Tout comme j’ai été solidaire avec Aung San Suu Kyi, l’opposante birmane, ou
avec Nelson Mandela.
Je dis aux Palestiniens de laisser leur race
et leur religion à part, et de mobiliser le monde sur les bases des droits
humains et du droit à l’autodétermination qui existent dans les chartes
internationales. Le droit international tranchera un jour.
Fatym
Layachi, 29 ans, comédienne
“Je
refuse de cacher mon corps”
Jamais je ne renierai mon corps. Ce corps
que j’ai montré dans mon dernier film, Femme écrite. Non pas par impudeur, non
pas par inconscience ou gratuité.
Tout le contraire. Le réalisateur Lahcen
Zinoun m’a offert un rôle sublime, un rôle de femme, berbère et tatouée. Un
rôle qui raconte cette mémoire que l’on efface. Un rôle qui raconte ces
histoires qui s’écrivaient dans la chair. Bien sûr, j’ai ma pudeur.
J’ai même des complexes par dizaines. Je
suis cette fille qui reste en paréo. Et je suis aussi cette fille qui a bien lu
dans les magazines comment tricher entre les couleurs et les matières pour
cacher ses défauts.
Alors, oui, ce n’était pas tout le temps
simple de montrer sa chair. Je l’ai fait. Assumant chacun de mes actes devant
la caméra, faisant bien plus confiance à mon réalisateur qu’à moi-même.
Mon corps vit. Me fait vivre. Me fait
ressentir. Me fait être ce que je suis. Ce que je suis. Bien sûr je ne suis pas
que ça. Mais bien sûr je suis d’abord ça. Et je ne peux pas être moi si je
cache ce que je suis. Oui j’ai un visage.
Et en plus j’ai choisi un métier où je le
montre. Oui j’ai des lèvres. Et en plus je parle. Je dis ce que je pense et
quelques bêtises. Oui j’ai des yeux. Et en plus j’aime bien le khôl et des fois
je pleure alors ça coule un peu.
Oui je me perche sur hauts talons, juste
parce que je trouve ça plus joli. Je suis mes blessures, mes égratignures et
mes cicatrices. Je suis mes cheveux et cette frange que je coupe moi-même avec
des ciseaux de cuisine sous le regard inquiet de ma copine.
Je suis mes bras que j’aimerai bronzés toute
l’année. Je suis mes jambes qui malgré la mode n’aiment pas beaucoup les jeans
slims.
Je suis mes mains et mes pieds dont je
prends extrêmement soin car l’assurance se trouve parfois dans l’éclat du
vernis à ongles. Et jamais je ne renierai mes veines dans lesquelles coule mon
sang.
Jamais je ne renierai ma chair sur laquelle
j’ai ancré mes rêves de gamine et mes délires d’adolescente. Et que ceux à qui
ça ne plait pas baissent les yeux. Car moi je ne les baisserai pas.
Aymane
Aouidi, 23 ans, militant associatif
“Je suis
contre le Makhzen”
Avec l’avènement du Printemps de la jeunesse
marocaine, une jeunesse qui rêve d’un Maroc où règne la liberté et la justice
sociale, je ne peux que constater que le principal verrou au progrès de notre
pays c’est la mafia makhzénienne.
Comment accepter que le Maroc —qui possède
d’importantes réserves de phosphates et des terres agricoles très fertiles—
soit plongé dans de telles difficultés économiques ?
Malgré toutes ces richesses, nous constatons
que des milliards sont gaspillés dans des affaires de corruption, que le taux
de pauvreté reste très élevé et qu’une grande partie de la population rurale
est privée du service public le plus élémentaire, comme l’eau, l’électricité et
l’école.
En outre, nous faisons face à un chômage
endémique, dont le taux ne cesse d’augmenter. Ceci signifie que le Makhzen mène
une politique discriminatoire en matière d’embauche, qui n’est que le résultat
d’un système d’enseignement inégalitaire.
Le Makhzen, dans ce qu’il a de plus
archaïque, a répliqué par une politique répressive, violente, aux mouvements
sociaux. Au lieu d’accéder aux revendications légitimes du peuple, il oppose la
loi du bâton.
En ce qui concerne l’exercice de la
politique dans notre pays, si l’on n’est pas approuvé par le Makhzen,
autrement, si l’on n’est pas un chantre du pouvoir, il ne faut pas rêver de se
faire une place.
C’est le Makhzen qui supervise les élections
de façade, comme cela a été le cas pour la Constitution taillée à sa mesure.
Pour toutes ces raisons, je pense qu’il faut isoler le Makhzen en continuant la
lutte pour une constitution démocratique et pour qu’enfin cesse l’impunité de
ceux qui ont commis des crimes politiques et économiques.
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