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Mohamed LOUIZI se livre
A l'occasion de la 9ème
Rencontre Annuelle des Musulmans du Nord, Mohamed Louizi, ancien frère
musulman, décrypte les liens entre l'UOIF et la confrérie qualifiée dans
certains pays d'organisation terroriste.
Ex-président des Étudiants musulmans de France (Lille),
Mohamed Louizi est ingénieur.
Son dernier livre, Pourquoi j'ai quitté les
frères musulmans vient de paraître aux éditions Michalon
Le Figaro Vox: La 9ème Rencontre Annuelle des Musulmans du Nord organisée
par l'UOIF (Union des Organisations Islamiques de France) a lieu ce dimanche. Trois orateurs étrangers prêchant ouvertement la haine ont été déprogrammés.
Cependant beaucoup dénonce la proximité de l'UOIF avec les Frères musulmans …
Comment définir l'idéologie de ces derniers?
Mohamed Louizi: Hassan Al-Banna, le fondateur des Frères
Musulmans avait défini son islam globalisant, son idéologie politique, comme étant,
je cite: «une organisation complète qui englobe tous les aspects de la vie.
C'est à la fois un état et une nation, ou encore un gouvernement et une
communauté. C'est également une morale et une force, ou encore le pardon et la
justice.
C'est également une culture et une juridiction, ou encore une science
et une magistrature. C'est également une matière et une ressource, ou encore un
gain et une richesse.
C'est également une lutte dans la voie d'Allah et un
appel, ou encore une armée et une pensée. C'est enfin une croyance sincère et
une saine adoration. L'islam, c'est tout cela de la même façon».
En 1924, le califat Ottoman, «l'homme malade», avait fini
par chuter. Dans l'esprit d'Hassan Al-Banna, ce dernier représentait le symbole
politique de l'unité des musulmans face aux occidentaux.
En 1928, il décida de
créer sa mouvance islamiste, premièrement, pour libérer l'Egypte de la
colonisation britannique et lutter par tous moyens contre la présence juive et
l'établissement d'Israël en terre sainte des trois monothéistes, et
deuxièmement, pour établir un nouveau califat/état islamique mondial et
atteindre le «Tamkine - ndlr: faisabilité» global, qui signifie la suprématie de l'islam frériste
sur tous les autres islams et sur toutes les autres religions, et l'application
de ses règles juridiques et lois pénales pour gérer les rapports à l'intérieur
de la société et avec l'extérieur de ce califat.
Ensuite de
l'individu, il faut former le foyer musulman, puis le peuple musulman, puis
atteindre le gouvernement islamiste, puis établir le califat, puis reconquérir
l'Occident puis atteindre le Tamkine planétaire.
Théoriquement, dans ses écrits, se rêve est inscrit dans un
processus stratégique partant d'abord et essentiellement de l'éducation de
l'individu - d'où la priorité accordée aux «jeunes musulmans» par les frères
lors de ce 9ème RAMN à Lille, entre autres.
Ensuite de l'individu, il faut
former le foyer musulman, puis le peuple musulman, puis atteindre le
gouvernement islamiste, puis établir le califat, puis reconquérir l'Occident
puis atteindre le Tamkine planétaire.
Ça paraît fou comme idéologie et projet
politique, mais force est de constater que depuis 1928, cette vision
globalisante demeure opérante et présente, non seulement en Egypte, mais
partout ailleurs, y compris en France.
La définition que j'ai donnée ci-dessus, est extraite du
livre: 20 principes pour comprendre l'islam, formalisés par Hassan Al-Banna,
développés par Youssef Al-Qaradawi et traduit en français par Moncef Zenati.
Celui-ci est membre du bureau national de l'UOIF, chargé de l'enseignement et
de la présentation de l'islam.
Pis, ce livre idéologique est enseigné à des
jeunes adultes, depuis au moins deux ans à «l'Institut Al-Qods» (Jérusalem),
créé par des frères cadres de l'UOIF au CIV (Centre Islamique de Villeneuve
d'Ascq) et à la mosquée de Lille-Sud où professe Amar Lasfar.
La personne qui
s'est chargée de délivrer toutes les semaines ses 20 principes idéologiques à
la jeunesse est un professeur, payé par les deniers de l'Etat, au Lycée Averroès.
FigaroVox: Les Frères musulmans sont considérés comme une
organisation terroriste dans certains pays. Pourtant lorsqu'il était ministre
de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy a fait de l'UOIF l'un de ses principaux
interlocuteurs et a qualifié ce mouvement d' «orthodoxe». Qu'en est-il
réellement?
M.L.: Effectivement, les Frères musulmans sont désormais
classés comme organisation terroriste par plusieurs pays. Par exemple, l'Arabie
Saoudite l'a fait en mars 2014.
En novembre de la même année, c'est au tour des
Emirats Arabes Unies de classer la mouvance et ses ramifications
internationales, y compris l'UOIF, sur sa liste.
L'UOIF avait déclaré dans un
communiqué publié le 17 novembre 2014 qu'elle «étudie toutes les voies et se
réserve le droit d'agir afin d'obtenir réparation», chose qu'elle n'a jamais
faite!
De l'autre côté de la Manche, le Premier ministre
britannique David Cameron avait prévenu, suite à une enquête très fouillée,
dans une lettre adressée le 17 décembre dernier aux députés, que tout lien avec
les Frères musulmans pourrait être considéré comme «un éventuel signe
d'extrémisme».
Il avait écrit: «Certaines sections des Frères musulmans ont une
relation ambiguë à l'extrémisme violent».
Il est parti encore plus loin en
affirmant qu' «être membre, associé ou influencé par les Frères musulmans
devrait être considéré comme un signe d'extrémisme». Depuis, il semblerait que
les Frères en Grande-Bretagne sont mis sous surveillance.
Le communiqué du ministre de l'intérieur, Bernard Cazeneuve,
publié le 2 février, avertissant l'UOIF au sujet de son 9ème RAMN utilise une
terminologie nouvelle et inhabituelle dans le rapport avec l'UOIF, je cite:
«totale vigilance», «poursuites immédiates» et «sanctions appropriées».
Il me
semble que c'est la première fois depuis la création de cette mouvance en 1983
que l'Etat puise ses mots d'un champ lexical très particulier.
Quelque chose
commence sérieusement à changer dans le rapport entre l'Etat et l'UOIF. Quant
au qualificatif «orthodoxe», utilisé par Nicolas Sarkozy avant la création du
CFCM, je crois qu'il n'y a que lui qui pourrait, peut-être, le définir.
Pour ma
part, je comprends cette orthodoxie comme une fidélité absolue à l'idéologie
d'Hassan Al-Banna dans sa dimension politique comme dans sa dimension
jihadiste.
La différence entre les Frères et les
autres, c'est une différence de degré et non de nature.
FigaroVox: Les Frères musulmans se disent légalistes et non
violent…
M.L.: Ce n'est pas vrai. Il n'y a qu'à lire l'intégralité de
«l'Epître du jihad», écrite par Hassan Al-Banna que j'ai traduite dans mon
essai autobiographique: Pourquoi j'ai quitté les Frères musulman, et qui
circule toujours dans des cercles fermés des frères de l'UOIF en France.
Son
contenu n'a aucune différence avec la matrice idéologique jihadiste de toutes
les organisations terroristes: Al-Qaïda, Al-Nosra, Daesh, etc.
L'on y trouve,
les mêmes textes violents, la même rhétorique jihadiste et les mêmes préconisations
à recourir, par obligation religieuse, à l'usage des armes.
La différence entre
les Frères et les autres, c'est une différence de degré et non de nature. Il y
a ceux, comme les groupes qui usent de la violence maintenant et ici.
Les
Frères les soutiennent, directement ou indirectement, et peuvent y recourir le
moment venu. Je rappelle que l'appel au jihad en Syrie a été lancé, depuis le
Caire, le 13 juin 2013, par une coalition composée de Frères musulmans et de
salafistes.
Le président de l'Egypte à cette époque s'appelait Mohamed Morsi.
Les frères actuellement à la tête de la confrérie à l'internationale comme ici
en France font parti du courant de Sayyid Qotb, la référence de tous les
jihadistes contemporains, qu'il soit frères ou pas.
FigaroVox: Certains évoquent un double discours. Est-ce
établi?
M.L.: Lors de l'éclatement de l'affaire qui avait opposé le
lycée Averroès à un professeur de philosophie, en février 2015, Amar Lasfar, le
président de l'UOIF avait déclaré face à la caméra de France Télévision que
l'UOIF n'a aucun lien avec les Frères musulmans. Un an plus tard, presque jour
pour jour, Mohamed Karrat, l'un des lieutenants fidèles d'Amar Lasfar et qui
est aussi recteur de la mosquée de Villeneuve d'Ascq, cadre responsable de la Ligue
Islamique du Nord et professeur au lycée Averroès, a déclaré lors d'un court
discours, en français, devant des fidèles, ce vendredi 5 février, que derrière
l'attaque qu'a subi le 9ème RAMN prévu à Lille, «c'est l'UOIF qui est visé».
Il
a dit: «L'UOIF est accusée d'être des Frères musulmans, et ça, personne ne s'en
cache. Nous ne cachons pas notre identité. Nous en sommes fiers …»
Ainsi, l'un
dit qu'il n'y a pas de lien entre l'UOIF et les Frères musulmans et se permet
d'attaquer en justice ses contradicteurs pour diffamation.
Un an plus tard,
l'UOIF affirme son identité frériste publiquement. Voici un exemple éclatant de
ce double-discours presque banal. Je considère qu'au-delà du double discours,
il y a un discours «en arabe» et un autre «en français».
Les Frères
musulmans s'emploient depuis le début des années 1980, sur le vieux contient à
acquérir divers « territoires » privés pour inscrire, dans la durée, leur récit
islamiste comme élément du récit national de chaque pays de l'Europe.
FigaroVox: Peut-on parler de stratégie globale
d'islamisation en France et Europe?
M.L.: Dans tous les pays où se trouvent des Frères
musulmans, en Orient comme en Occident, le projet islamiste est le même depuis
la création de la mouvance par Hassan Al-Banna en 1928.
Il s'agit de rétablir
le califat islamique aux frontières historiques, y compris là où l'islam avait
une présence en Europe. Ce projet a un nom: le projet Tamkine.
Dans le monde
arabo-musulman, les expériences de cette mouvance passent par des hauts et des
bas. Ils arrivent à percer un temps.
Ensuite, ils sont mis en difficulté. Mais
ils ne disparaissent pas. Eux-mêmes décrivent leur influence comment étant une
succession de phases et de cycles: naissance, puis ascension, puis apogée, puis
déclin, puis latence, puis ascension à nouveau et ainsi de suite.
Ici, en Europe et en Occident, les choses se présentent
autrement. Car si le monde arabo-musulman est considéré déjà comme un
«territoire» acquis.
En Occident, cela n'est pas le cas. Les Frères musulmans
s'emploient depuis le début des années 1980, sur le vieux contient à acquérir
divers «territoires» privés pour inscrire, dans la durée, leur récit islamiste
comme élément du récit national de chaque pays de l'Europe. Cette opération
s'appelle le «Tawtine - ndlr: conquête territortiale».
Elle est exécutée par la construction de
mosquées-cathédrales, d'acquisitions immobilières diverses et variées, de
construction d'établissements scolaires privés, etc.
Car sans le «Tawtine», le
projet Tamkine ne peut être mené efficacement. Si le Tawtine est l'objectif
territorialiste d'une étape, le Tamkine est le but ultime pour que la loi
d'Allah, telle qu'elle est comprise par les idéologues et oulémas des frères,
domine l'Europe et l'annexe à l'Etat Islamique tant rêvé par les Frères.
Chakib Benmakhlouf, ex-président de la FOIE (Fédération des
Organisations Islamiques en Europe), avait déclaré, dans une interview au
journal londonien arabe Asharq Al-Awsat, le 20 mai 2008, je traduis: «Au sein
de la FOIE, nous avons un plan d'action, nous avons un plan d'action sur 20
ans; sur le court terme, le moyen et le long terme.
Certains événements,
malheureusement, se déroulant de temps en temps, influent négativement sur
l'avancement de notre action. Certains musulmans se sont vite sentis attirés
vers des combats marginaux et cela perturbe notre plan d'action global.»
FigaroVox: Vous accusez l'UOIF d'être «une base de
réserviste»…
M.L.: Lorsqu'on lit et analyse l'«Epître du jihad» d'Hassan
Al-Banna et les écrits de Sayyid Qotb, notamment son interprétation de la
Sourate 8 et 9, entre autres, ainsi que son livre: Jalons sur la route, on
déduit une constance idéologique chez les Frères: Le frère musulman, par
définition, ne peut être que jihadiste, en opération, ou réserviste caressant
le rêve de faire le jihad armé un jour.
Lorsqu'il est en stade de réserviste,
il doit soutenir par tous les moyens ceux qui partent faire le jihad: par le
soutien financier, par le soutien médiatique, par les prêches, par les
invocations, etc.
Hassan Al-Banna avait construit cette idée fondamentale sur
des textes religieux attribués au Prophète Mohammad: «Quiconque meurt sans
avoir combattu et sans en avoir jamais eu le désir, meurt sur une branche
d'hypocrisie»!
C'est plutôt Hassan Al-Banna qui considère les Frères, en
général, et l'UOIF en particulier, comme étant une base de réservistes.
FigaroVox: Quelle est la différence entre frères musulmans
et salafistes? Un frère musulman est-il forcément un salafiste? Un salafiste
forcément un terroriste?
M.L.: Ce que je peux confirmer, c'est que la matrice
idéologique salafiste et jihadiste est la même pour les trois cités. Et ce,
nonobstant les quelques disparités et variances de langages constatées, par-ci
ou par-là.
Ceci étant, un frère ne peut être que jihadiste ou réserviste. Le réserviste
peut ne jamais porter des armes. Il peut se rendre compte de la supercherie et
quitter.
Il n'y a pas d'automaticité de passage d'un stade à l'autre. L'humain
est imprévisible. Il peut être quiétiste et basculer ensuite dans le jihadisme
le plus abjecte.
Il peut être jihadiste et se repentir. Mais une chose est
sûre: pour rompre avec tout ceci, il faut un traitement des racines de la
violence, religieuse ou pas, à la source.
L'idéologie des Frères Musulmans ne
doit être exclue de cette lutte contre la radicalisation et les facteurs
idéologiques qui la sous-tendent.
Le projet Tamkine
a besoin, en plus d'un territoire, d'une « base » humaine solide. Je fais
remarquer le mot « base » veut dire en arabe le mot Qaïda.
FigaroVox: Vous avez-vous-même été un «frère» actif parmi
les Frères musulmans. Quelles sont leurs méthodes de recrutement et
d'embrigadement?
M.L.: Le couple prédateur/proie permet d'assurer l'équilibre
des pyramides alimentaires d'un écosystème. Le prédateur choisit sa proie selon
des critères dictée par la nature.
La pyramide des Frères musulmans, celle
décrivant les étapes du Tamkine, a aussi ses «prédateurs» qui sélectionnent
leurs proies selon des critères dictés par l'idéologie et par les besoins en
ressources humaines du projet Tamkine global.
Chez les Frères musulmans,
l'adhérent ne choisit pas l'association. C'est elle, telle une secte obscure,
qui le choisit, et ce sont ses anciens membres qui le cooptent au terme d'un
parcours initiatique très particulier.
Le projet Tamkine a besoin, en plus d'un territoire, d'une
«base» humaine solide. Je fais remarquer le mot «base» veut dire en arabe le
mot Qaïda.
Il s'agit d'un concept idéologique souvent utilisé dans les écrits
de Sayyid Qotb, surtout dans son exégèse des sourates 8 et 9. Le même terme est
utilisé par Al-Qaïda pour désigner son organisation terroriste internationale.
Selon Sayyid Qotb, la création d'un état islamique sur un quelconque territoire
a un préalable éducatif, idéologique et organique majeur.
Celui de se
constituer, avant toute autre chose, une base humaine solide composée de
personnes, frères et sœurs, hautement éduqués et convaincus par l'idée et la
nécessité de cette création en étant prêts, à tout moment, à tout sacrifier, y
compris leurs vies, pour la concrétiser et la défendre contre vents et marées.
Sayyid Qotb cite l'exemple du prophète Mohammed et sa réussite à se constituer
à la Mecque une «base» humaine, de compagnons convaincus, avant d'immigrer et
de s'établir à Médine, son nouveau territoire pour y instituer le premier état
islamique conquérant selon l'interprétation politique de cet idéologue
frériste.
Les frères-prédateurs s'emploient à cibler des recrues pour
constituer cette «base» solide et ce noyau dur dans chaque pays.
Au terme d'une
initiation idéologique, durant laquelle les 10 piliers de l'allégeance sont
expliqués, à savoir: «la compréhension, la sincérité, l'action, le jihad
(armé), le sacrifice, l'obéissance totale, la persistance, la fidélité à
l'engagement, la fraternité et la confiance totale placée à l'endroit de la
direction et du commandement», le/la candidat(e), répondent au standards
idéologique passent à l'étape du serment d'allégeance où il/elle s'engage
expressément en répétant l'attestation suivante:
-«Je m'engage devant Allah, le
Tout-Puissant, à observer rigoureusement les dispositions et préceptes de
l'islam et de mener le jihad pour défendre sa cause.
-Je m'engage devant Lui à
respecter les conditions de mon allégeance aux Frères musulmans et accomplir
mes devoirs envers notre confrérie.
-Je m'engage devant Lui à obéir à ses
dirigeants dans l'aisance comme dans l'épreuve, autant que je le pourrai, tant
que les ordres qui me sont donnés ne m'obligent pas à commettre un péché.
-J'en
atteste allégeance et Allah en est témoin.».
Dès lors la nouvelle recrue est
missionnée pour œuvrer pour le projet Tamkine, éclairé par la devise mythique
de la mouvance: «Allah est notre ultime but, le Messager est notre exemple et
guide, le Coran est notre constitution, le jihad est notre voie, mourir dans le
sentier d'Allah est notre plus grand espoir»!
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