Ouvrage de Khalil ZEGUENDI
Profitant d'une pause, un travailleur marocain des brasseries Wielemans, exécute l'une des 5 prières de la journée dans un coin du dépôt
Années 1960 : Communiquer avec la famille!
Durant les premières années de la présence des Marocains en Belgique, l’argent envoyé à la famille demeurée au Maroc, était confié à des amis ou des connaissances retournant au pays et rares étaient les Marocains de Belgique qui passaient par la poste pour effectuer un envoi à leur épouse ou leurs parents.
Et jamais ces marques de confiance ne furent trahies : l’argent arrivait toujours à destination.
Au Maroc à cette époque, pour leurs achats de denrées de première nécessités auprès de l'épicier du quartier ou du boucher, la plupart des familles marocaines à revenu modeste ou irrégulier, fonctionnaient à la Libreta ou livret de crédit.
C’était en fait un double livret se présentant sous forme d’un petit carnet de notes en double exemplaire.
L’un des exemplaires restait en permanence chez le détaillant en alimentations générales tandis que le second livret faisait le va et vient entre le domicile de la famille et l'épicier.
Chaque achat était noté dans les deux carnets et à la fin de chaque mois les deux comptes étaient confrontés permettant ainsi à l’épicier de récupérer son dû que la ménagère lui payait sans rechigner dès lors que son mari ou frère le chef entrait en possession de sa paie.
Contrairement à ses réticences à l’encontre de certaines familles sans revenu stable et régulier, l’épicier ne nourrissait aucune crainte vis-à-vis des parents d’immigrés, poussant parfois les marques de confiance jusqu’à prêter de l’argent à de telles familles.
Des jeunes tangérois arrivés entre 1963 et 1966 en Belgique
Soucieux de ne pas contrevenir aux règles islamiques relatives à l’épargne de leurs économies, les premiers travailleurs marocains s’arrangeaient pour confier en dépôt, les sommes épargnées à certains d’entre eux, réputés pour leur droiture et leur honnêteté mais également pour le respect qu’ils inspiraient chez l’ensemble de ces communautés de résidents.
Ahmed Tounsi était l’un des principaux dépositaires des économies ainsi épargnées.
Les contacts entre les immigrés et leurs familles vivant au Maroc s’effectuaient ainsi et très souvent, par voie postale et surtout par porteur.
De fait, les lettres étaient souvent prises en charge par les amis « descendant » au Maroc.
Pour l’anecdote, quasi tous les marocains parlaient à cette époque de « descendre » lorsqu’ils retournaient au Maroc et de « monter » quand ils devaient revenir en Belgique.
Allez savoir pourquoi ! Peut être que cette métaphore découle de la joie qui remplissait ces personnes retournant au pays voir leurs familles.
Et dès lors, ce retour était probablement assimilé à une descente aisée, tant l’envie de serrer les siens dans ses bras représentait un idéal.
Tandis que le retour vers ce qui était considéré comme une terre d’exil et de solitude s’assimilait à une rude montée à effectuer.
Le téléphone constituait à cette époque un des moyens auxquels recouraient de temps à autre, les immigrés marocains pour entendre la voix des leurs.
Seuls quelques bureaux de poste bruxellois disposaient d’un service téléphonique susceptible de permettre l’entrée en contact avec les membres de la famille ou les amis au Maroc.
De fait, rares étaient les Marocains de Belgique qui disposaient d’une liaison téléphonique à domicile, tant cette possibilité était considérée comme un vrai luxe.
A Bruxelles, durant les journées de fêtes musulmanes, de longues files d’attente se formaient dans les bureaux de poste bruxellois, assurant le service téléphonique international.
Chaque demandeur de communication devait attendre parfois pendant deux ou trois heures, l’établissement de la liaison avec son correspondant au Maroc.
Le préposé au standard se chargeait alors d’appeler les clients dès la jonction établie avec leur correspondant au Maroc.
Et de l’autre côté du détroit de Gibraltar, les frères et sœurs de l’immigré devaient parfois attendre des heures chez le rare magasin du quartier ou du village disposant d’un poste téléphonique, dans l’espoir de recevoir la communication tant attendue provenant de l’être cher exilé.
A cette époque, très peu de foyers marocains disposaient d’un téléphone et les seules possibilités de communiquer avec le membre de la famille résidant en Belgique ou dans un autre pays européen, étaient offertes par l’un ou l’autre magasin situé quelque part dans le quartier.
L’opération se déroulait souvent en deux temps : un premier appel téléphonique venant de Bruxelles ou d’Amsterdam devait solliciter le bon vouloir de l’épicier ou du boulanger et sa prédisposition à avertir la famille que l’immigré souhaitait contacter téléphoniquement.
Sitôt appelés par l’un des jeunes du coin mis à contribution par le tenancier du magasin, les membres de la famille ne s’avisaient pas à perdre du temps et se précipitaient vers le lieu de la communication téléphonique à venir.
Lors de ces communications chaque membre de la famille nucléaire y allait de sa petite doléance: l'un voulant recevoir un peu d'argent, l'autre des vêtements...
La boule qui se formait dans le coeur de l'immigré ainsi au contact de sa famille donnait à la conversation une tonalité et un aspect pleins de tristesse.
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