mardi 28 août 2018

Premiers immigrés marocains durant les années 1960

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.Ouvrage de Khalil ZEGUENDI


Un vieux dépôt bruxellois de marchandises transformé en mosquée au début des années 1970


Partie 4S'organiser dans les chambrées 


S’organiser, une nécessité

 Chaque colocataire d’une chambre garnie se devait de fournir la  même quantité de travail au profit de toute la collectivité.

Souvent, le plus âgé, le lettré ou le plus ancien des occupants assumait un rôle de coordination, voire même de leadership au sein du lieu partagé par tous.

C’était généralement lui qui structurait les taches à effectuer par chacun des résidents et qui supervisait l’exécution de ces  travaux ménagers. 

Pour la direction des prières, la fonction d’imam revenait dans la chambre à celui qui avait fait le Kouttab (Ecole coranique ) dans son village ou son quartier urbain et qui connaissait sourates, invocations et louanges en faveur du prophète.

Sellam témoigne

« Comme j’étais le seul citadin à me trouver dans une chambre avec quatre compatriotes originaires de la région d’Al Hoceima, et que je savais réciter de nombreuses sourates du saint Coran, je bénéficiais d’un respect général au sein de la grande pièce. Je dirigeais les prières du soir, puisqu’en journée, tout le monde travaillait à l’extérieur. 

Non seulement cela, mais je tenais pour ainsi dire, un petit coin-bureau qui me servait de lieu d’accueil pour mes colocataires analphabètes, qui me sollicitaient pour la rédaction de lettres à envoyer à la famille au Maroc ou venaient près de moi pour m’entendre psalmodier des versets du Coran »

« Le vendredi, dans la mesure du possible, certains d’entre nous s’arrangeaient pour obtenir un demi jour de congé afin d’effectuer la prière commune de la mi-journée à laquelle se joignaient les locataires venant des autres étages. 

Cette prière, nous l’exécutions dans le couloir du second étage. Ceux qui travaillaient dans des équipes de nuit n’éprouvaient aucun souci pour participer à l’office du vendredi» 

« Mes compagnons de chambrée avaient décidé de m’accoler le sobriquet de « Fqih » (Enseignant religieux).

« Je dois reconnaître qu’à cette époque, les immigrés marocains qui ne priaient pas ou ne pratiquaient pas les enseignements religieux de l’islam, étaient respectés par ceux qui faisaient preuve de piété et d’assiduité religieuse »

Mon statut de Fqih me valait une grande dispense des corvées domestiques, pendant que les autres pensionnaires devaient nettoyer les lieux communs, faire les achats pour la cuisine et préparer les mets destinés à la consommation de tous ».

Dans certaines chambrées, des colocataires préféraient fonctionner de manière séparée. Chacun s’occupant de ses propres affaires. Il fallait donc se relayer pour l’utilisation du réchaud à gaz pour la préparation des repas. 

Ce choix émanait surtout de personnes par trop méfiantes à l’encontre de leurs voisins de chambrée ou souhaitant réaliser le maximum d’économies en rognant sur le budget nourriture.

Cependant, pour ces célibataires, vivre à plusieurs dans de tels lieux, constituait une nécessité vitale, celle destinée à briser la terrible solitude de ces pionniers de l’immigration et de créer entre eux, des liens de réconfort et de solidarité dans un environnement culturel des plus cruels. 

 Les plus instruits qui n’étaient pas légion, apportaient leur savoir faire à ceux qui n’avaient jamais fréquenté un lieu d’instruction aussi rudimentaire fut il.

Dans leurs chambres garnies, les immigrés marocains recevaient une fois par mois, le coiffeur itinérant qui faisait le tour des immeubles où ces hommes résidaient par dizaines  

Chez Dimitri comme à l’établissement d’Ahmed Tounsi, un coiffeur espagnol du nom de Pablo, passait plus souvent mais ne s’occupait que des résidents de ces deux «auberges ». 

Dans les années soixante, deux ou trois coiffeurs circulaient ainsi entre les quartiers bruxellois habités par les immigrés marocains. 

Ce « service », les coiffeurs de week end l’exécutaient en extra, mais demandaient néanmoins une contribution financière minime à leurs clients, puisque eux-mêmes travaillaient à cette époque, comme ouvriers dans la sidérurgie ou le bâtiment.

Le premier coiffeur marocain à avoir exercé ce métier à Bruxelles, en faisant le tour des immeubles à chambres meublées, était un travailleur immigré de Fez, appelé Rouika.

C’était un jeune homme d’une très grande élégance qui ne se déplaçait le week end, que vêtu d’un costume noir et portant cravate au cou.

Plus tard, il ouvrira son propre salon de coiffure à la rue de Russie, voisine de la gare du Midi          

Dans les chambres, le chauffage était fourni par l’énergie du charbon. 

Régulièrement, en période de grand froid, les travailleurs immigrés comme les autochtones, du reste, devaient s’approvisionner en sacs de houille auprès des magasins de quartier spécialisés dans la fourniture de cette précieuse denrée.

De temps à autre, des fournisseurs ambulants de charbon passaient dans les rues des quartiers et alertaient les résidents, en faisant fonctionner la sonnerie spéciale de leur camionnette.   

Ceux des immigrés marocains qui tenaient à se conformer aux édits religieux en matière de consommation culinaire, s’approvisionnaient en viande auprès de quelques éleveurs belges habitant à la périphérie de la ville.

Ils recouraient à trois à quatre, à l’achat d’un mouton auprès des éleveurs flamands.

Il revenait souvent au plus pieux ou  au plus âgé d’entre eux, d’immoler la bête selon le rite islamique dans l’une des annexes de la ferme en y procédant à son dépeçage et la répartition entre eux  de la viande.

 Le transport de la précieuse marchandise ainsi répartie se faisait à bord de l’un ou de l’autre véhicule.  

Le recours à cette façon de faire était dicté par l’inexistence à Bruxelles de boucheries Halal. 

Le seul boucher recevant des marocains à cette époque était  un juif bruxellois installé à la rue du Brabant non loin de l’église Saint Jean et Nicolas. 

L’islam autorise ses adeptes à se procurer de la viande auprès de juifs si aucune autre possibilité halal ne leur est offerte

La première boucherie islamique ne vit le jour que vers 1972, à l’initiative d’un ancien boucher tangérois, Mohamed Laghmich

D’autres bouchers marocains comme Mokhtar Kfayti , Thami Zeguendi, Ahmed Ben Yamoun et Amar l’Algérien,  s’installèrent à Saint Josse, à Schaerbeek et Bruxelles Ville

Mais le recours à la viande de poulet restait de loin le plus recherché en ce sens que l’abattage de ces bêtes, était plus aisé à effectuer que l’immolation d’un mouton 

L’utilisation pour ce faire de bassines destinées à recueillir le sang du poulet ainsi immolé, incitait les immigrés musulmans à recourir à cette solution. 

Point de frigo dans les chambres occupées par ces locataires et partant une grande difficulté à conserver les denrées périssables.
  
Tous avaient dans un premier temps effectué de nombreuses années comme manœuvres, dans des usines situées en Flandre et en Wallonie 

Certaines situations vécues par ces premiers immigrés causèrent des traumatismes profonds chez certains d’entre eux. 

La suite jeudi prochain:

Les privations affectives et sexuelles

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