Une carte blanche du collectif Laïcité Yallah (1).

Le 3 décembre dernier, la presse révélait des soupçons d’espionnage pour le compte du Maroc au sein de l’Exécutif des Musulmans de Belgique (EMB), organisme chargé entre autres d’assurer la gestion (pour une période transitoire) de la Grande Mosquée de Bruxelles. On aurait pu croire que ces révélations émanant de la Sûreté de l’Etat déclencheraient, au sein de l’organisme, une réflexion sérieuse au sujet de l’interférence d’Etats étrangers (Arabie saoudite, Maroc, Turquie, Qatar) dans l’organisation du culte musulman en Belgique. Or, il n’en a rien été. L’instance créée (difficilement) en 1999 par un arrêté royal s’est rangée dans son écrasante majorité derrière son responsable, Salah Echallaoui, et a récusé toutes les accusations d’espionnage qui le ciblent, lui, en particulier. Au lieu d’appréhender cette problématique -connue de tous- d’une façon rationnelle, l’EMB s’est drapé dans un habit de victime et a affiché, au grand jour, son impuissance à saisir les enjeux. Nous, Collectif Laïcité Yallah, déplorons cette attitude de fermeture, plaidons en faveur d’un débat franc et ouvert pour l’émergence d’un islam de Belgique au diapason des droits humains. Faute de quoi, nous peinerons à trouver des solutions.

De l’instrumentalisation des musulmans

Alors, osons la réflexion. Allons à l’essentiel. La faillite de l’islam de Belgique est loin d’être imputable au seul EMB. Cette ingérence des Etats étrangers a été rendue possible par l’action de nos décideurs qui n’ont jamais envisagé de solutions à long terme et qui ont multiplié les liaisons dangereuses. D’une crise à l’autre, nos responsables politiques qui par calcul ou électoralisme, qui par naïveté ou ignorance, ont bricolé des solutions au nom d’une certaine "paix sociale". Pour ce faire, certains n’ont pas hésité à faire appel autant à des Etats étrangers qu’à des organisations dans la mouvance des Frères musulmans qui prétendaient incarner "l’islam du juste milieu" alors qu’ils ne faisaient que creuser la fracture entre les musulmans et le reste de la société. Tariq Ramadan, joueur clé dans le dispositif frériste, a déployé depuis le début des années 1990, un grand talent pour revisiter la question du voile, de l’islamophobie et du conflit israélo-palestinien. Au fil du temps, l’islam s’est structuré autour de deux idées centrales. Les musulmans sont les victimes d’un système belge géniteur de racisme et de discriminations et par conséquent, la protection des musulmans devient un impératif. Car qui dit victime dit protecteur. Il n’y a qu’à voir avec quelle insistance la Turquie affiche cette prétention à l’heure actuelle.

Mettre fin au financement étranger, reconnaitre la liberté de conscience et la pluralité

A force de vouloir "accommoder" à tout vent, nos fondamentaux démocratiques ont pâli. Les coups de boutoir assénés à la laïcité pour l’adjectiver ont grandement fragilisé notre édifice démocratique. Quoi qu'il en soit, en sifflant la fin de la partie de l’ingérence des Etats étrangers, le ministre fédéral de la justice, Vincent Van Quickenborne, a ouvert un énorme chantier. Certes, son appréciation de la situation est crédible. Mais encore faut-il avoir une vision pour la suite des choses. Quelle place sera faite aux grands oubliés de ces "tractations", ces musulmans "normaux" qui vivent en harmonie avec leur environnement et ne font guère étalage de leur religion ? Le succès de la démarche du Ministre dépendra de plusieurs facteurs. Il faudra impérativement mettre un terme au financement étranger des mosquées, des imams et des associations cultuelles. Le respect de la liberté de conscience des musulmans doit clairement être établi. Le culte musulman doit rendre caduque l’injonction de mise à mort de celle et ceux qui quittent l’islam. Les imams et les enseignants de religion islamique doivent être formés dans le respect de la neutralité de l’Etat et de la primauté des lois civiles sur les lois religieuses. Ouvrir un débat parlementaire sur l’existence de l’influent réseau associatif de la confrérie des Frères musulmans qui fragilise grandement les assises de notre démocratie à travers son action sociale aux visées politiques et idéologiques. Toute structure représentant les musulmans de Belgique devrait intégrer des femmes, assurer leur participation à part entière et permettre l’expression de la pluralité des postures spirituelles et philosophiques comme celles des alévis, des soufis et des musulmans laïques par exemple.

Il est temps de passer de la parole aux actes.

Les signataires : Malika Akhdim, militante féministe et laïque, Radouane El Baroudi, cameraman ; Djemila Benhabib, politologue et écrivaine ; Yeter Celili, militante féministe et laïque ; Kaoukab Omani, éducatrice ; Abdel Serghini, réviseur d’entreprises ; Sam Touzani, artiste-citoyen.

(1) Créé le 12 novembre 2019 à l’initiative du Centre d’Action Laïque (CAL), le Collectif Laïcité Yallah est constitué de croyants et de non croyants ayant un héritage musulman. Préoccupés par la montée du fondamentalisme musulman, du racisme, de la xénophobie et de l'antisémitisme, ses membres militent en faveur de la laïcité et combattent le communautarisme ethnique et religieux.