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...ma professeure d'histoire
Une professeure et une femme d'exception, à nulle autre semblable.
Elle arrive à Tanger, venant de Paris en 1962
En 1966, je suis en 4 ème année secondaire "lettres modernes" au lycée tangérois Ibn Al Khatib.
Entre autres profs c'est Christine Jouvin, professeure d'histoire qui m'accueille avec une vingtaine d'autres étudiants à la rentrée de la mi septembre
D'une beauté à damner un saint, si pas plusieurs, yeux bleus et cheveux blonds, nous étions tous ébahis face à son joli minois et son sourire qui ne la désertait jamais.
"L'histoire telle qu'elle est relatée dans les livres et les manuels officiels" nous dit elle dès au premier cours, "il faut la creuser, la déconstruire, la remettre sans cesse en question".
Et tout au long de notre "vie commune" dans ce lycée, nous nous sommes efforcés en nous amusant sérieusement, à déconstruire et à démanteler les lieux communs des Croisades, de la guerre de cent ans, des campagnes napoléoniennes, de la conquête musulmane de l'Espagne, de la guerre civile espagnole..j'en passe et des plus illustres et mémorables faits historiques
Une professeure d'un genre particulier, "Touche à tout".
Pour Christine Jouvin, l'histoire ne se limitait point à relater faits ou événements figés, immuables et coagulés une fois pour toute.
La recherche historique devait selon Christine, être dynamique, en mouvement permanent et à tout moment revisitée
L'étude de l'histoire ne suffisait pas à Christine Jouvin pour expliquer et appréhender le mouvement du monde, pour elle la dialectique qui permet de lier des événements entre eux, constituait la meilleure façon d'appréhender l'évolution du monde
Nous étions un petit groupe de curieux à partager une fois par mois la chaleur de son salon qui se situait dans une vieille demeure d'un quartier antique de la Médina de la ville du détroit.
Là, elle nous autorisait à laisser libre cours à nos attentes, nos espoirs... Chez elle, nous étions en confiance.
Beaucoup de journalistes ayant abordé sa vie infatigable, n'ont pas abordé son séjour tangérois qui dura six ans et ne se sont intéressés à son parcours que lorsqu'elle avait émigré à Casablanca en 1970.
Nombre d'entre eux se sont gourrés lorsqu'ils ont évoqué sa première rencontre avec Abraham Serfaty avec qui elle se liera bien plus tard par les liens "sacrés" du mariage
Sauf que notre petit groupe savait déjà que sa relation avec le leader révolutionnaire marocain existait déjà depuis bien longtemps puisqu'elle s'était ouverte à nous à ce sujet.
Encore trop jeunes, nous ne connaissions pas l'un des principaux fondateurs de l'organisation Ilal Amam et ce fut par le biais de Christine que nous avions entendu parler de lui
Elle m'informa de son projet casablancais sans s'approfondir sur le sujet.
Sa mutation vers cette métropole la se déroula sans encombres.
Sitôt installée, elle récupéra chez elle Abraham qui était recherché et se cachait chez un camarade.
Elle reviendra à Tanger, en juillet ou août 1970, si mes souvenirs ne me trahissent pas, pour récupérer ce qu'elle avait confié à des amis de la cité jadis phénicienne.
Ce fut la dernière fois que je la voyais à la terrasse de l'hôtel Continental, l'un des plus vieux établissements de Tanger.
comme à l'accoutumée, nous primes un thé parfumé à la fleur d'oranger, je ne vous dis que ça. Si vous voyez ce que veux dire
J'arrive à Bruxelles en 1971 et perdit de vue Christine Jouvin, jusqu'au jour où j'appris l'arrestation d'Abraham en 1974, les séances de tortures auxquelles le duo Hassan II - Basri l'avaient soumis, puis l'expulsion de Christine du Maroc.
Elle avait entretemps abandonné le nom de son ex mari et récupéré celui de son père, Daure
Je repris contact avec elle lorsque nous décidâmes à Bruxelles de fonder les Comités de lutte contre la répression au Maroc.
En France, l'infatigable professeure d'histoire se lia d'amitié avec l'écrivain Gilles Perrault à qui elle confia son amour pour le Maroc en lui demandant de soutenir son combat pour la libération des détenus de la gauche radicale marocaine.
Christine était d'un charisme auquel nul ne pouvait résister, Perrault s'employa à la rencontrer durant des mois pour préparer la rédaction de son livre Notre ami le roi dont l'essentiel des récits, à commencer par l'existence du bagne mouroir de Tazmamrt lui fut décrit par Christine dans les détails avec les noms des disparus des années de plomb.
Elle fit le pied de grue devant les locaux de France Libertés, que présidait Danielle Mitterrand, qu'elle parvint à convaincre d'épouser son éternel combat en faveur de la libération des détenus politiques marocains.
Ce fut en prison que Christine Daure se maria avec Abraham Serfaty
Son combat et celui auquel adhérèrent des centaines de démocrates français, Belges, Allemands et Hollandais, finira par produire son effet sur la dictature marocaine
Christine Daure Serfaty fut celle qui inspira toutes celles et tous ceux qui se joignirent plus tard à la lutte pour le liberation du peuple marocain
Je la rencontrai à Tanger en 2012, deux années avant son décès, et nous décidâmes d'emprunter le train pour rendre visite à d'anciens camarades à Casablanca
Puisses tu reposer en paix, chère Christine !

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