samedi 29 juillet 2017

ZBIBA LA TANGEROISE (Part 4)

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Roman de Khalil ZEGUENDI

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A mes lecteurs: Zbiba est une fiction tirée d'une histoire réelle.

 C'est la pénible et douloureuse histoire d'une jeune paysanne de la région de Rgayaa, village situé à mi chemin entre les villes de Tetouan et de Tanger

Je vous livre les premières parties de cette aventure hors du commun en trente pages, sur le blog Bruxellois surement.

Les 150 pages qui suivent vous seront livrées sous forme de livre de poche, si tel est par la suite, votre souhait

Bonne lecture

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4 ème partie 




Lekbir prospère et se protège à l'ombre de l'armée espagnole

Pour assurer la réussite de son entreprise, Lekbir poussait l’audace jusqu’à prendre des initiatives quelque peu risquées, en commandant, de temps à autre auprès des contrebandiers effectuant les navettes entre Ceuta et la Croix blanche, de l’alcool et d’autres produits prohibés.

Prudent comme un sioux, il commença par des acquisitions limitées de bouteilles de whisky, qu’il écoulait au prix fort, auprès des officiers dirigeant la base de Rgayaa.

L’argent rentrait et Lekbir ne laissait rien au hasard.

Il consentit à vendre à crédit, à certains soldats.

Surtout ceux qui payaient sans rechigner, au moment de la perception de leur solde.

A cet effet, un double livret de dettes était rigoureusement tenu à jour par Lekbir.

Aucun soldat ne discutait ou contestait les montants réclamés par le fournisseur de l’armée espagnole, stationnée à Rgayaa.

Au bout de la première année d’exercice, Lekbir recruta autour de son commerce, une nuée de collaborateurs et de jeunes prestataires, ex bergers et autres laboureurs. 

Prompts à rallier la Croix blanche, voire même les villes de Tetouan ou de Tanger pour le ravitailler, ces prestataires se mirent de jour comme de nuit, au service de leur patron.

Lekbir acheta à Hajj Kaddour, pour un prix quasi symbolique, un terrain de quatre hectares, situé non loin de l’emplacement de la caserne, de même que la trentaine d’ânes dont il s’occupait jadis.

Ces acquisitions étant faites, Lekbir put assurer lui-même le transport et le stockage des marchandises destinées aux pensionnaires de la caserne de Rgayaa.

Sur le terrain qu’il acheta à Hajj Kaddour, il construisit une imposante baraque, dont les murs furent bâtis par des blocs, fabriqués à base de terre, de bouse de vache et de paille asséchée.

Il n’eut aucune peine à obtenir des militaires espagnols, la quantité de tôle nécessaire au recouvrement du toit du bâtiment.

Il reçut en sus, trois grandes portes métalliques, provenant de la remise de l’édifice militaire.

En un mois, le hangar destiné à recevoir la marchandise acquise par Lekbir, était fin prêt.

Pour servir dans l’entreprise commerciale de Lekbir, de nombreux jeunes du village cessèrent de fréquenter l’école coranique de Rgayaa ou les activités pastorales ou paysannes.

La fortune de Lekbir augmentait, de même que son influence et son pouvoir parmi les familles fermières qui composaient l’entité.

En 1929, Lekbir a 24 ans. Son entreprise commerciale tournant à plein régime, ne fonctionnait plus à la commande occasionnelle. 

Le stock était constamment reconstitué et quasi toutes les demandes étaient satisfaites en temps réel.

Ses déplacements au carrefour du Cruce blanco devinrent hebdomadaires pour la perception des marchandises commandées une semaine à l’avance, auprès des passeurs et autres contrebandiers, circulant entre Ceuta et Tetouan.

Et à chaque descente, pour prendre possession de sa marchandise, Lekbir affrétait une authentique caravane, formée de mulets lui appartenant.

Il payait toujours comptant ses fournisseurs. Ce qui encourageait les navetteurs à priser la collaboration avec lui.


Lekbir élargit le cercle de ses protecteurs


Le Caïd de la province de Jbel Hbib, dont dépendait le village de Rgayaa, hésitait à importuner Lekbir ou à lui réclamer la redevance due par tous les commerçants ruraux de la province.

La crainte de heurter les susceptibilités des militaires espagnols protecteurs de Lekbir, retenait les élans taxateurs du Caid Thami.

Le dépôt de Lekbir regorgeait de produits de diverse nature.

Un matin nuageux du mois de novembre 1929, il décida de prendre la route, menant vers le village de Jebl Hbib, siège du caïdat de cette province.

Devenus hommes à tout faire, les deux ex-répétiteurs coraniques étaient du déplacement. 

Après une heure et demie de marche, que Lekbir effectua à dos de cheval, et alors que le village se réveillait à peine, l’un des collaborateurs de Lekbir frappa à la porte de la grande maison campagnarde du Caid Thami.

Il savait que le fonctionnaire provincial du Makhzen, était déjà au courant de sa visite.

Un accueil des plus chaleureux fut réservé à l’ancien ânier, devenu au fil des ans, l’un des hommes les plus les plus craints de cette province englobant onze villages, quelques douars et autres hameaux.

Avant même de prendre place sur l’une des banquettes du salon arabe, Lekbir déposa sur la table ronde de la pièce, une boite à cigares.

S’adressant au Caïd : "Un petit présent pour mon ami Ssi Thami".

"Ce n’était pas nécessaire, mon cher frère Lekbir", rétorqua, hypocritement le caid.

Ajoutant :

"Ta seule venue me remplit de joie"

De manière inattendue et brutale, Lekbir répliqua :

"Oh que si. Et tous les trois mois, je passerai personnellement te remettre une boite semblable…Ouvre-la déjà, Ssi Thami."

Et comme pour atténuer la rudesse de ses propos et détendre quelque peu l’atmosphère, Lekbir ajouta :

"Attention Ssi Thami au serpent qui se trouve dans la boite, il est particulièrement venimeux".

Disant cela, il éclata d’un rire stupide et primitif. Les deux aides l’accompagnant, se sentirent dans l’obligation de ricaner, pour accréditer hypocritement le caractère subtil de la plaisanterie.

Ssi Thami ouvrit la boite et fut à peine surpris de son contenu:

"3000 pesetas, cher ami", dit Lekbir. "De quoi acheter un taureau ou renouveler le jeu de bracelets en or de Chrifa" (L'aînée des femmes du Caïd)

"On m'a parlé de ta générosité", dit Thami, "mais ce que je vois dépasse de loin tous les dires de mes amis. Tu sais que ma maison t’est ouverte et que celui qui osera porter atteinte à ta personne ou à tes biens, je le brise tout net… Mais on parle, on parle, alors que rien n’est sur la table"

Le caid de crier :

"Rkia, amène-toi, espèce d’étourdie"

Une jeune femme, la dernière et la plus jeune des épouses du Caid, apparut sur le seuil de la porte de la pièce. 

Elle portait un lourd plateau traditionnel en faux argent, contenant l’attirail nécessaire pour la confection du thé à la menthe.

Elle retourna à la cuisine chercher un second plateau, chargé de toutes sortes de gâteaux, localement fabriqués.

"Trêves de salamaleks, Ssi Thami. Je sais que tu es un fieffé bandit", dit Lekbir, sur un ton de plaisanterie.

Ajoutant :

- "Entre nous, il faut que le deal soit clair: tu demandes à tes hommes de regarder ailleurs quand ma marchandise passe et je saurai me montrer très large avec toi"
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- "Tu sais que tu me plais, Ssi Lekbir. Ta franchise me séduit", répondit le Caïd Thami

Et tendant la main :

-" Top là, sale brigand, nous sommes faits pour nous entendre"

Ils burent le thé et dégustèrent les gâteaux, en devisant au sujet des opportunités qu’ils avaient, l’un comme l’autre, à glaner dans la région.

Les précieux conseils et autres ficelles, fournis à Lekbir, par le Caïd, se révéleront précieux. Surtout ceux relatifs à la situation de certains paysans locaux, endettés jusqu’au cou et cherchant à céder leurs biens, pour quelques pesetas.

Au moment du départ, sur le seuil de la demeure du Caïd, Lekbir tira de sa sacoche, portée en bandoulière, quelques billets de cents pesetas et les tendit au fonctionnaire du makhzen

"C’est pour les enfants", dit-il !

Depuis cette rencontre au sommet, toutes les plaintes, adressées au caÏd, par les villageois, plaintes relatives aux exactions et autres délits commis par Lekbir ou ses aides, furent classées sans suite.

L’ordre fut donné aux hommes du caïd de ne jamais entraver les affaires de l’ex-ânier, protégé par les officiers espagnols de la caserne de Rgayaa.

Celui-ci obtint ainsi la bénédiction intégrale de l’édile makhzenien de la province de Jebel Hbib, désigné à cette fonction par les autorités indigènes marocaines.

Tous les trois mois, le caïd recevra des mains mêmes de Lekbir, la commission habituelle et récurrente, agrémentée d’un cadeau, sous forme d’une jellaba en soie ou d’un caftan, pour l’une des épouses du caïd qui, aux dires de ses proches, possédait un vrai harem.

La suite : samedi prochain




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