samedi 11 août 2018

L'histoire des émigrés marocains (2) (1962-1967)

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Ouvrage de Khalil Zeguendi


La déchirure familiale



Quand Chaib partit pour la Belgique, il avait 21 ans. Aujourd'hui il en a 86.
(Ici, avec sa femme Zoubida fêtant à la maison communale d'Anderlecht - Bruxelles, leur noces de diamant)


La semaine précédant le départ du « contractuel » vers l’Europe constituait la période la plus éprouvante pour les parents du futur « exilé ». 

A cette époque,  la majeure partie des Marocains ignorait tout des pays de «  derrière l’océan ». Ce qu'ils appelaient "Blad Nçara" ou pays des Nazaréens 

Pour les femmes des milieux modestes, le départ du fils vers l’un des pays du vieux continent correspondait à une grande plongée de ce dernier dans une réalité des plus "hostiles". 

Ces femmes étaient convaincues que les jeunes Nasraniyates (chrétiennes) allaient leur voler leur « enfant », dès sa descente du train, tant pour ces mamans, les Nazaréennes, libérées et entreprenantes, raffolaient de relations sexuelles avec les jeunes et « chauds » arabes.

Cette croyance était si bien ancrée dans l’imaginaire populaire marocain qu’il était illusoire de tenter de la contredire

Du reste, le principal conseil que ne cessaient de ressasser les mères à leur fiston candidat au départ, revenait souvent à cet aspect considéré comme  le plus grave des dangers menaçant le jeune fils en partance pour l’Europe



Signature à Bruxelles, en février 1964, de la convention belgo - marocaine, entre les deux ministres de l'emploi des deux pays

Le jeune détenteur du contrat, du passeport et du billet du voyage vers l’Europe était pour ainsi dire, au centre de toutes les attentions et des prévenances tant de la part de son entourage familial élargi que de la part de ses amis du quartier. 

Et il n’était pas rare que durant les derniers jours le séparant du grand plongeon, le candidat au départ, reçoive de manière discrète des petits messages de ses amis et connaissances, lui rappelant, au cas où il l’aurait omis, toute l’amitié que ces derniers éprouvaient "depuis toujours" à  son égard.

Il allait sans dire que l’allusion à l’envoi de l’ascenseur via un contrat de travail était la lecture qu’il fallait faire, entre les lignes de ces messages. 

Les jeunes filles n'étaient pas en reste 

Les jeunes filles des milieux modestes du quartier se découvraient soudain des accointances et des affinités avec les sœurs du jeune en partance pour l’Europe. 

Et toutes les occasions étaient bonnes pour  échanger quelques mots avec les jeunes sœurs ou la maman, au « hasard » d’une rencontre fortuite au hammam du quartier ou chez l’épicier du coin.

Ces contacts établis ou renforcés avec la gente féminine de la famille du jeune candidat à l’émigration se poursuivaient de manière plus structurée et davantage fréquente% après le départ de ce dernier. 

Les familles des candidats à l’exil ne lésinaient pas sur les moyens pour aider leurs jeunes fils à partir. 

Les mères y allaient de leurs bijoux si chèrement acquis lorsqu’ils ne faisaient pas partie de la dot offerte lors du mariage et censée ne faire l’objet d’aucune transaction.

Les pères, eux, devaient très souvent recourir à des emprunts auprès de connaissances ou d’amis pour augmenter les ressources financières de leurs jeunes enfants candidats à ce plongeon dans l’inconnu. 

Beaucoup de familles durent hypothéquer leur maison, leur lopin de terre ou leur champ, pour parvenir à concrétiser le projet migratoire de leur fils, se disant que de toute façon, l’argent que celui ci récolterait dans l'Eldorado européen en un temps record, permettra à coup sûr de récupérer leur bien hypothéqué. 
       
Pour ceux des jeunes partants qui avaient déjà fondé une famille, il fallait également penser aux enfants restés au pays. 

Car, au-delà de cette déchirure sentimentale occasionnée par la séparation, le père se devait de confier à sa jeune épouse une partie des économies dont il disposait, pour lui permettre de veiller pendant son absence, à la couverture des besoins de la petite famille.



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