mercredi 8 août 2018

L'histoire des émigrés marocains vers l'Europe (1)

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Ouvrage de Khalil Zeguendi
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CHAPITRE I 

Partir coûte que coûte

Les premiers permis de travail délivrés par le ministère belge de l'emploi 


1962 - Dès l’ouverture des bureaux de recrutement belges à Tanger, des milliers de jeunes, surtout originaires de la région du Rif se ruèrent vers le consulat de Belgique situé dans une zone résidentielle de la ville du détroit. 

Cette représentation diplomatique avait pris en charge tant les demandes des entreprises belges que celles émanant des autorités des Pays bas.

L’aménagement au sein de ce consulat d’installations distinctes des services traditionnels, permettait à l’administration chargée du volet lié au recrutement de cette main d’oeuvre marocaine destinée à l’ »exportation », de fonctionner en totale indépendance des services consulaires classiques. 

Les milliers de contrats portant le sceau d’entreprises belges et des mines wallonnes en particulier, étaient proposés aux candidats à l’émigration et délivrés à ceux-ci à l’issue de nombreux tests, épreuves et autres entretiens, auxquels les candidats étaient soumis. 

Il faut reconnaître que le quotient le plus déterminant de la notation délivrée par les examinateurs se rapportait aux seules aptitudes physiques des candidats. 

Une bonne musculature et une saine denture déterminaient généralement le nombre de points accordés aux postulants.

Une fois ces épreuves « réussies », le détenteur du fameux contrat devait entamer une autre épreuve de loin plus insidieuse et davantage compliquée que celle à laquelle il fut soumis auparavant. 


Obtenir un passeport:   un parcours du combattant


En effet, même pour les personnes ayant décroché un contrat et une sélection en bonne et due forme, l’obtention d’un passeport, sésame indispensable au départ du pays, prenait souvent l’aspect d’un cauchemar tant les tracasseries administratives, les exigences de garanties et l’indispensable et substantielle Kawa donnaient le tournis aux jeunes candidats pressés de rallier leur lieu de travail en Belgique.        

Le début des années soixante connut une activité très soutenue en matière de demandes de passeports. 

De nombreux « courtiers » et autres intermédiaires agissaient pour le compte des services de la mairie ayant en charge la délivrance de ce précieux document.

Un véritable réseau d’intermédiaires qui « travaillait » au vu et au su de tout le monde, proposait son indispensable médiation tant pour réduire les délais requis à l’obtention d’un passeport que pour aplanir les problèmes rencontrés par les postulants, aux divers niveaux et échelons de la procédure administrative.

 Celle-ci touchait à plusieurs secteurs : l’arrondissement civil, les services policiers, les bureaux des taxes et imposition, les tribunaux ainsi que les divers guichets de l’administration municipale pour l’obtention de multiples extraits de documents que beaucoup estimaient superflus pour la demande d’un passeport. 

Avec comme il se devait un « cadeau » à offrir aux responsables de chacun des services visités.

De nombreux jeunes détenteurs de contrats de travail, exacerbés par tant de tracasseries et  d’avidité durent tout simplement abandonner en cours de route, faute de pouvoir satisfaire tous les appétits de ceux qui recourraient à de telles exigences. 

Des centaines de faux passeports circulaient parmi ce réseau d’intermédiaires à telle enseigne que pour solutionner leur problème quant à l’obtention du passeport, certains détenteurs de contrats pour l’étranger, las d’attendre et craignant de perdre la possibilité offerte par l’entreprise belge, se résignaient, moyennant argent sonnant et trébuchant, à acheter un passeport portant le nom de quelqu’un d’autre ; passeport sur lequel, l’intermédiaire prenait soin de coller la photo de l’acheteur.

Pour l’anecdote : des dizaines de passeports portant des noms de femmes furent acquis au prix fort par des candidats masculins au départ. 

Les préposés marocains aux guichets de sorties chargés de vérifier ces passeports avant l’accès au ferry savaient tout cela et moyennant un bakchich, encore un, allongé par le détenteur du faux passeport, les pandores de la police portuaire marocaine faisaient semblant de ne pas remarquer la supercherie.

Au moment de la présentation de ces passeports aux postes frontières espagnols ou français, certains de ceux ayant acquis ces documents de voyage portant des noms féminins, omettaient de répondre à l’appel du policier français de retour avec le paquet des passeports, lorsque celui-ci hélait Fatima ou Aicha.



Lorsqu'ils arrivèrent en Belgique, ces Marocains de Tanger aujourd'hui vieux et fatigués, avaient à peine 20 ans



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