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... candidat mineur, arrivé fin 1963 en Belgique dans le cadre d'un contingent de main d'oeuvre
Au milieu de la fine fleur du parti Baath irakien
Un parcours exceptionnel !
J'ai connu Noury Lekbir au début des années 1970
Il était sans cesse en mouvement, infatigable et doté d'une immense capacité d'écoute et de prise de décision et d'iniatiatve. Il parlait peu mais agissait promptement
Infatigable et d'un charisme indéniable. Il multipliait réunions et déplacements.
Jamais au même endroit et souvent au courant des moindres détails de toutes les informations liées à la vie associative marocaine de Belgique.
Noury ne déléguait quasi jamais et prenait personnellement en charge la mise en route des décisions qu'il arrêtait.
Il prenait systématiquement soin de ne permettre jamais à un quelconque responsable d'une association marocaine de rencontrer les dirigeants de la CSC, estimant que ce domaîne constituait sa chasse précieusement gardée.
Verrouillage donc total des accès menant aux responsables du syndicat. Tout devait passer par lui.
Ceux des cadres associatifs qui souhaitaient avoir l'un ou l'autre contact avec des dirigeants de la CSC étaient poliment mais fermement invités par ces dirigeants à s'adresser à Noury Lekbir.
Flash back
Dès 1963, les instances dirigeantes de la CSC, centrale syndicale chrétienne, avaient mis en place en vue de promouvoir l'affiliation des travailleurs immigrés marocains qui affluaient vers la Belgique, un service spécifique pour l'accueil de ce public.
D'autres sections spécifiques à des immigrés espagnols, portugais, grecs, italiens, polonais... virent le jour dans le cadre de cette dynamique d'ouverture voulue par la CSC
Des militants marocains furent engagés par la CSC pour favoriser l'affiliation à ce syndicat.
Ces mêmes instances donneront en 1964 leur aval à la nomination d'un permanent "arabe".
Le mineur limbourgeois Noury Lekbir occupera ce poste devenant ainsi le premier permanent syndical d'origine marocaine
AL AMIL AL ARABI
(Le travailleur arabe)
Né à Settat non loin de Casablanca, Noury Lekbir lancera fin 1969 un bulletin mensuel en langue arabe portant le titre de AL AMIL AL ARABI (Le travailleur arabe) .
Un organe dans les pages duquel étaient traités les problèmes auxquels étaient confrontés les travailleurs marocains au sein des entreprises de production mais aussi les difficultés rencontrées dans les rapports avec les administrations belges
Maitrisant difficilement l'écriture de la langue arabe, l'autodidacte Noury sans réel passé militant au Maroc, se mit à la recherche de cadres arabes susceptibles de l'aider à combler cette lacune.
L'appel au recrutement d'un tel personnel lancé par Noury rencontra aussitôt un écho auprès de quelques cadres proches de l'UNFP installés à Bruxelles dont -e.a- Ahmed Oubari, Houssine El Manouzi et quelques étudiants marocains.
Ce furent ces militants qui imprimèrent à la revue du Travailleur arabe l'orientation hostile au pouvoir en place au Maroc.
N'ayant pas le choix, Noury accepta cette concession et finira par convaincre les instances de la CSC de la nécessité de l'entériner
Le "Travailleur arabe" devenant ainsi le reflet des positions de l'Union nationales des Forces populaires en Belgique
Tout y passait : la dénonciation de la répression politique au Maroc et le caractère jugé dictatorial et néocolonial du régime marocain de même que son suivisme vis à vis des puissances occidentales.
La question palestinienne n'était pas en reste dans le vaste éventail des thèmes traités par le Travailleur arabe distribué grâcieusement
Occupé à établir des contacts avec les dirigeants lybiens et irakiens et à organiser les structures liées à la section arabe de la CSC, Noury Lekbir se déchargea totalement de la gestion du Travailleur arabe, confiant ainsi sa rédaction et sa diffusion aux cadres de l'UNFP que furent notamment Oubari et El Manouzi, aidés en cela par des étudiants, membres de la section belge de l'Union nationale des étudiants du Maroc (UNEM)
Rusé comme un sioux et disposant d'un flair aiguisé pour les bonnes opportunités, Noury qui se sentait à l'étroit au sein de la CSC décida très tôt d'aller voir sous d'autres cieux si le miel était plus doux et l'herbe plus verte
Les pays arabes "progressistes" pour ne pas dire dictatoriaux le fascinaient.
Il organisa des déplacements en Lybie et en Irak et accessoirement en Syrie pour proposer ses services aux régimes de ces pays
En contrepartie de la promotion et de la propagande idéologiques du panarabisme et du petit livre vert de Khaddafi auprès des travailleurs marocains, Noury demandera des investissements et des moyens non négligeables à ces deux régimes.
Pour ne pas éveiller la mefiance autour de ses contacts avec ces régimes, Noury Lekbir présentait ces ouvertures comme étant destinées à favoriser des liens d'amitié avec les syndicats lybiens et irakiens.
Bien que ce genre d'organisations etaient totalement infeodées et contrôlées par les pouvoirs de ces pays, cela passait auprès des dirigeants de la CSC comme une lettre à la poste
Le choix du titre de sa gazette "Le travailleur arabe!!!!" s'inscrivait dans cet objectif, car comment expliquer cette option alors que la quasi totalité des travailleurs immigrés extra européens étaient marocains
L'ombre du farouche opposant à Hassan II, celui que l'on nommait Fqih Basri, planait autour de la section arabe de la CSC par le truchement des militants de l'UNFP collaborant à l'élaboration du mensuel Le Travailleur Arabe (1)
(1) lire en seconde partie du dossier: "Qui fut le résistant anti français Fquih Basri"
La MACO ou Maison de la culture ouvrière
Pour structurer les activités de la section arabe de la CSC, dont les rangs se renforçaient sans arrêt par l’arrivée de nouveaux adhérents marocains au syndicat chrétien, les fondateurs de l’antenne arabe de la CSC, Noury en tête, décidèrent d’ouvrir un centre d’accueil destiné à ce public de plus en plus nombreux.
Ainsi en 1973, la MACO ou Maison arabe de la culture ouvrière ouvrit ses portes non loin du siège de la CSC situé à la rue Pletinckx en plein centre bruxellois.
Tant à Bruxelles que dans de nombreuses villes wallonnes comme Wavre, Liège, Charleroi, Mons, La Louvière et Verviers, la CSC mit à la disposition de la MACO des lieux destinés à assurer des permanences pour l’accueil du public maghrébin.
Ce sera à partir de la MACO que l’essentiel des activités de la section arabe de la CSC connaîtra un important développement.
Le Parti social chrétien PSC étant durant des décennies partie prenante de toutes les majorités gouvernementales, il allait de soit que les moyens financiers alloués à la CSC coulaient de source, sans jeu de mots.
Les apendices de cette centrale (sections immigrées notamment) obinrent dès leur apparition, de substantielles et généreuses subventions émanant de l'Executif national
Des formations syndicales en faveur des militants à l’organisation de permanences sociales pour les adhérents en passant par des cours d’alphabétisation pour les adultes et de devoirs scolaires pour les plus jeunes se développèrent à la vitesse grand V.
la MACO permit à ses promoteurs de nouer d’importantes relations avec les travailleurs arabes de Bruxelles.
Abdelkader Belliraj, bras droit de Noury Lekbir joua un rôle non négligeable dans la structuration de la MACO.
Grande influence de Noury et confiance aveugle des patrons de la CSC
Plus tard, de nombreux dirigeants du syndicat chrétien suivront Noury lors de ses déplacements en Lybie, n'hésitant pas à partager les repas du dictateur lybien
sous sa tente bédouine.
Ces dérapages feront l’objet de nombreuses critiques émanant des médias belges
Plus tard, une bibliothèque contenant des milliers d’ouvrages, provenant de Syrie, d’Irak et de Lybie, fut inaugurée par la MACO et attirera de très nombreux militants arabes avides de lecture et d’investigations.
Ce fut au travers de la MACO, vecteur « autonome » de la CSC et à l’insu des dirigeants de ce syndicat, que les premiers rapports avec les régimes lybien, irakien et syrien allaient être établis.
Ces rapports passaient au travers des "syndicats" des travailleurs de ces pays.
Mais nul ne pouvait ignorer que ces structures de travailleurs étaient à cette époque, totalement contrôlées par les régimes dictatoriaux de ces Etats.
Emmenés par Noury, de nombreux membres de la section arabe de la CSC allaient à partir de 1973, entamer un cycle soutenu de déplacements vers ces pays arabes et rencontrer en grandes pompes, les dirigeants tant syndicaux
que politiques des pays visités.
Pour renforcer ses liens militants avec les affiliés les plus politisés, la section arabe de la CSC organisait au sein des locaux de la MACO, des réunions d’information, des formations, des conférences et des meetings à caractère et à connotation panarabe ouvertement politiques.
L’Ecole de l’Unité Arabe
Dans la foulée de la création de la MACO et vu l’augmentation substantielle du nombre d’enfants fréquentant les cours d’alphabétisation organisés par cette entité, Noury Lekbir négocia avec les responsables du Comité populaire lybien, chargé des relations avec les arabes de la diaspora, l’octroi de moyens financiers en vue de fonder une école arabe à Bruxelles.
L’Ecole de l’Unité arabe, dont l’énorme bâtiment était situé dans le centre
bruxellois, près du Petit château bien connu des Bruxellois, fut acquis par la Lybie et confiée à la section arabe du syndicat chrétien en vue de développer en son sein, l’enseignement de la langue arabe en faveur des enfants issus de l’immigration maghrébine.
En contrepartie, Noury s’était engagé vis-à-vis des officiels lybiens en poste à Bruxelles, de leur verser un loyer mensuel de 100 000 francs belges (2480 euros)
Dans l’esprit de Noury, tant les cotisations versées par les parents des enfants qui fréquentaient cet établissement, que les moyens octroyés à la CSC par les pouvoirs publics belges pour les actions destinées à l’intégration des immigrés, serviraient à honorer cet engagement.
Dans la réalité, la gestion de cette école était assurée par Noury Lekbir qui était le seul à entretenir les contacts avec les pays arabes du « du Front Refus «, hostiles à toute paix avec Israel
Frondes anti Noury
A de nombreuses reprises, des éclaircissements et même des comptes furent réclamés à Noury Lekbir par de nombreux militants de la section arabe de la CSC, qui était devenue une véritable multinationale
Ne tenant compte d’aucune de ces demandes émanant de l’ensemble des militants, dont bon nombre prestaient comme enseignants à l'école de l'unité arabe, Noury persistait dans son refus d’associer ces derniers aux rapports qu’il entretenait avec le régime du colonel Kaddhafi via sa représentation
diplomatique en Belgique.
De plus, de profondes divergences opposèrent Noury à de nombreux militants arabes du syndicat pour ce qui concernait les outils pédagogiques utilisés pour l’enseignement dispensé en faveur des enfants fréquentant l’Ecole de l’Unité
arabe.
En effet, par la seule volonté de Noury Lekbir, les manuels tels « Le Petit Livre vert" du timonier lybien, figuraient en bonne position dans les programmes d’enseignement de cette école.
Noury répondait souvent à la fronde des enseignants réticents à l’utilisation de tels supports pédagogiques , par l’intimidation, n’hésitant pas à menacer de licenciement les plus récalcitrants et les plus vulnérables d’entre eux.
Il était difficile, voire impossible de distinguer qui des militants de la CSC ou des responsables consulaires lybiens, dirigeaient cette école.
La confusion était totale et les visites d’inspection à cette école, effectués par des agents diplomatiques lybiens, ajoutaient davantage à cette opacité qui ne permettait pas à une chatte de reconnaitre ses chatons
Noury Lekbir fera un grand pas de côté au début des années 1990, lorsque en raison des très nombreuses plaintes et autres réclamations formulees a son encontre par des militants de la CSC, les médias belges décidèrent de mettre à plat ses pratiques et surtout ses rapports avec les régimes arabes avec lesquels Noury entretenait des relations suspectes et ambiguës
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Profil : qui fut le résistant anti français Mohamed Basri
Condamné à mort en mars 1964 pour «atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat marocain», Mohamed Basri alias le Fqih (Instituteur) fut cadre dirigeant de l’UNFP (Union nationale des forces populaires), co - fondée par Mehdi Ben Barka, Abderrahman Youssoufi, Abderrahim Bouabid et Abdallah Brahim notamment)
Il s’était illustré du temps du protectorat français par sa participation aux combats engagés par l’armée de libération du sud marocain
En mai 1966, comme son camarade Abderrahman Al Youssoufi, le
charismatique Mohamed Basri opta pour l'exil et s'installa dans un premier temps, en Algérie.
A partir de ce pays, il se rapprochera de certains régimes nationalistes arabes dominés par les militaires, afin d’obtenir les moyens qu'il estimait nécessaires au renversement par la violence de la monarchie marocaine.
Fondé par Mohamed Basri, le Tandim, un mouvement armé insurrectionnel hostile à la monarchie marocaine, reçut la possibilité d’utiliser des camps d’entraînement, en Libye, en Algérie et en Syrie.
A Tripoli, d’importants moyens furent mis à sa disposition par le colonel Khaddafi dont un temps d’antenne sur les ondes de la radio officielle libyenne, aisément captable au Maroc.
En octobre 1972, les événements s’accélèrent. En présence de Mohamed Basri venu clandestinement à Bruxelles, une importante réunion eut lieu dans la capitale belge, rencontre à laquelle assistèrent des militants de l’UNFP de Belgique proches de la Centrale syndicale chrétienne et de la section arabe de cette centrale présidée alors par Noury Lekbir .
Mi-février 1973, Basri s’installera à nouveau en Algérie, pour être proche des lieux de l’insurrection qu’il avait planifiée sur le sol marocain.
L'insurrection du 3 mars 1973
Mohamed Basri (gauche de la photo)
Pour une raison demeurée obscure à ce jour, les attaques devant être déclenchées le 03 mars 1973, jour de la fête du trône contre des objectifs militaires situés dans les zones ciblées par les insurgés, furent différés en dernière minute, et reportées sine die.
Seul eut lieu l’assaut contre le village de Moulay Bouazza, proche de la ville de Khenifra, mais dans une confusion telle, qu’il fut fatal aux insurgés, dont certains, inexpérimentés et peu au courant du plan de Basri, venaient de débarquer de l’étranger.
Son échec cinglant déclencha une réaction meurtrière de l’armée marocaine, qui annihila l’essentiel des forces dont disposait l’attaque programmée par Fqih Basri
Le reste des militants fut arrêté et traduit en justice militaire. Celle-ci procéda à des condamnations à mort. Vingt deux membres du Tandim ayant participé à l'assaut furent sitôt exécutés.
Les membres belgo - marocains du Tandim ayant échappé à la capture et ceux restés en Lybie lors de l'insurrection de Moulay Bouazza referont leur réapparition en Belgique de manière aussi soudaine que discrète.
Parmi ces rescapés figurait le militant Unéfpéiste Ahmed Oubari qui était chargé en Lybie des programmes radiophoniques destinés aux Marocains de l'intérieur, décida de ne plus s’impliquer dans
l’action syndicale et associative de première ligne
A Bruxelles, Il ne reprit ni ses activités de lutte contre l’analphabétisme sur lesquelles le Regroupement démocratique marocain
avait lancé en son absence prolongée une véritable OPA, ni son dynamisme syndical
Dans le cadre d’une amnistie générale, Basri retournera au Maroc en 1995. Les anciens militants lui réserveront un accueil triomphal. En revanche, nul ne lui réclamera des explications autour des activités du Tandim encore moins des comptes
Extraits du Livre de Zeguendi Khalil « Ombres »
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