jeudi 14 août 2025

Très cher Maroc

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Réflexions de l'écrivain Tahar Benjelloun.


Introduction de Khalil Zeguendi, Webmaster du blog "Bruxellois, sûrement!"



Si Tahar Bejelloun, écrivain francophone richissime et ami du roi du Maroc en arrive aujourd'hui à se plaindre "méchamment" de la détérioration de la situation économique du Maroc, c'est que quelque part, il ne faut point s'étonner de l'état de pauvreté et de dénuement dans laquelle se débattent des millions de Marocains.


Alors que les autorités marocaines avaient annoncé avec fracas début 2025, que l'année en cours allait accueillir un nombre record de touristes et surtout de Marocains du Monde  (MDM), le mois de juillet fut plus que décevant en la matière. 

Hôteliers, restaurateurs, patrons de cafés et autres agents de location de voitures furent surpris par un "boycot" du Maroc par les MDM.

Ceux des Marocains qui sont entrés au pays d'origine n'ont pas tari de témoignages désabusés liés à leurs déceptions sur plusieurs plans: cherté de la vie, surfacturation des séjours en hôtels ou pour repas consommés dans les restaurants....

Le témoignage ci après, fourni par l'écrivain Tahar Beljelloun, résume le grand mécontentement de ces familles marocaines ayant pris l'initiative de visiter le Maroc.


Tahar Benjelloun  .

"Je suis rentré du Maroc il y a 4 jours. 

Et c’est avec un grand plaisir que je suis revenu chez moi en Île-de-France. Je n’avais jamais connu ça avant. 

En fait, ce pays m’insupporte de plus en plus. 

Les arnaques quotidiennes, les prix spécial MRE (Marocains Résidant à l'Etranger) pour nous accueillir les mois de juillet et d’août, les tarifs de la traversée du détroit plus cher que ceux pratiqués pour la traversée de la manche qui est plus longue, les hôtels dits “5 étoiles” qui, en réalité, n’en ont que le nom et dont le standing correspond tout au plus à celui d’un 2 ou 3 étoiles, et la liste est longue.


 Vol et corruption à tous les étages de l’économie et de l’administration. Si je m’écoutais je dirais à la diaspora de boycotter le Maroc en 2026 et de ne plus faire de transfert d’argent jusqu’à ce que nous soyons considérés comme on devrait l’être». (Karim).


Ce que vous venez de lire est un des nombreux commentaires de ma dernière chronique «Très cher Maroc», qui a suscité un nombre important de réactions allant toutes dans le sens d’une dénonciation de la hausse des prix et la baisse de la qualité des produits et des services.


 Ces commentaires traduisent aussi la colère de nombreux MRE qui n’ont pas pu renter voir leurs familles à cause de la hausse de tous les prix.


 Le coût de plus en plus élevé des billets d’avion en période d’été a dissuadé des MRE de se rendre au plus beau pays du monde.


Une chose est chère quand ni sa qualité ni sa quantité ne correspondent au prix demandé. 


C’est dans les restaurants que vous pouvez tous les jours vérifier cette définition.


Les autorités compétentes devraient faire quelque chose contre cette dérive qui ne semble pas s’arrêter mais au contraire se répandre indument.


 Malgré les chiffres publiés par le ministère du tourisme, des RME ont écrit pour dire clairement qu’ils ont préféré passer leurs vacances en Espagne ou en Turquie et qu’ils pensent que leurs enfants, de ce fait généralisé, viendront de moins en moins au Maroc et pire, n’y enverront plus d’argent.


D’une façon générale, le constat est consternant, et cela touche tous les domaines. 


Le plus important est celui de la santé: une analyse d’une prise de sang coûte entre 300 et 1000 DH, selon la prescription du médecin. 


Une radiographie: 1500 DH.


 C’est pour cela que les locaux d’analyse biologique abondent un peu partout.


 Ça rapporte gros et aucun malade ne peut s’en passer. 


Les appareils, qui au départ, coûtent un prix important sont, de ce fait, vite amortis.


Les employés sont payés à la marocaine. Quant aux impôts, je doute qu’ils soient acquittés selon la réalité des revenus. 


Tant qu’existe l’argent en espèces, la lutte contre la fraude s’avèrera illusoire.


La modernité a un prix. Il est exorbitant quand il n’est pas accompagné de valeurs et de principes. 


Or, la perte ou le sacrifice des valeurs introduisent un désordre moral qui ouvre les portes à la corruption, au laisser-aller, et à un individualisme ravageur indécent. 


L’incivisme aidant, c’est une bien mauvaise image que nous donnons de notre société.


Comme a écrit un des commentateurs: «il faut surveiller et punir», reprenant par là le titre d’un ouvrage du philosophe Michel Foucault.

«Une amie vient de m’alerter contre l’aggravation des incidents dus au manque de civisme des citoyens. 

Elle me dit qu’avant de blanchir les immeubles aux frais de l’État, en prévision de 2030 (Coupe du monde de foot, ndlr) ne faut-il pas commencer par réclamer une conduite civile respectable et responsable?»

Oui, contrôler et punir! Contrôler et sévir. Le citoyen a besoin d’être défendu. 


C’est en principe le rôle de l’État et des autorités locales. Encore faut-il que ce citoyen prenne conscience de sa responsabilité et de ses devoirs envers lui-même et envers les autres. 


Cela ne vient pas tout seul. Besoin d’éducation, de retour aux valeurs de nos anciens, de lutte contre les illusions néfastes des réseaux sociaux de plus en plus toxiques, car non encadrés.


Vaste programme. Il n’est jamais trop tard pour commencer à balayer les rues et avenues de notre société. 


L’écrivain égyptien Tewfik El Hakim (1889-1987), auteur du remarquable livre «Un substitut de campagne en Égypte» (Terre humaine; Plon; 1993) était sorti un jour muni d’un balai pour nettoyer sa ville pourrie par la corruption et l’incivisme. 


Geste symbolique qui eut quelque effet, du moins dans les médias de son pays.


Pour le moment, nombre de citoyens s’indignent. Mais il faut passer au-delà et lutter sur le terrain contre les actes d’incivisme.


Trois petits exemples vécus hier en rentrant à Tanger en Boraq (TGV)


--Une dame appelle quelqu’un de sa famille et règle ses comptes en hurlant, dérangeant tout le wagon, de première classe pourtant. 


Quand quelqu’un lui fait remarquer qu’elle n’est pas seule sur ce train, elle a redoublé de férocité et les insultes ont fusé comme des balles de mitraillette.


--Je vais utiliser les toilettes. Elles sont occupées. J’attends. Sort une jeune fille. Elle ne ferme pas la porte et s’en va sans se retourner.


--Dégoûté, je renonce à utiliser ces toilettes. Je monte à l’étage, et là, un grand gaillard sort des toilettes. Il n’avait pas tiré la chasse ni fermé la porte.


Ce sont des petites choses sans importance. Et pourtant, elles dénotent d’un manque d’éducation et d’un manque de respect pour la collectivité.


L’incivisme est partout. Ça vient de loin et la lutte s’avère longue et difficile.


Le nombre d’immeubles d’habitation où les occupants rechignent à payer les charges est énorme. 


Souvent ce sont des gens qui sont aisés, mais ils refusent de payer les charges. 


D’où la dégradation de ces immeubles où plus rien ne marche.


 Certaines personnes n’ont pas encore intégré les devoirs du vivre-ensemble. 


Égoïstes et non solidaires. Inciviques en diable.


Une amie vient de m’alerter contre l’aggravation des incidents dus au manque de civisme des citoyens. 


Elle me dit qu’avant de blanchir les immeubles aux frais de l’État, en prévision de 2030, ne faut-il pas commencer par réclamer une conduite civile respectable et responsable? 


Mais comme d’habitude, on donne davantage de l’importance aux apparences et nous négligeons l’essentiel, la morale, le respect, la rectitude et l’amour de la patrie.

TAHAR BENJELLOUN

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