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...Tout ce que vous auriez voulu savoir!
Les manifestations urbaines qui secouent actuellement le royaume sont la conséquence d’une politique antisociale commencée il y a plus de dix ans. En attendant une sortie de crise, il y aura désormais un « avant » et un « après » 27 septembre.
mercredi 17 septembre 2025, les premières informations qui ont circulé à Agadir, l’une des villes les plus touristiques du sud du Maroc, ressemblent à des rumeurs tant elles sont à la fois graves et invraisemblables.
En moins d’une semaine, huit femmes sont mortes à l’hôpital public après avoir accouché par césarienne à cause de l’indifférence du personnel hospitalier et de la quasi-absence de matériel sanitaire.
C’est l’onde de choc, à Agadir et au-delà.
L’indignation est aussitôt relayée par les réseaux sociaux dans une ambiance de tension qui s’amplifiera de jour en jour.
Une semaine après le drame, une page au nom très curieux apparaît sur Instagram et Facebook : GenZ 212.
On y découvre, notamment, qu’un appel à manifester contre la détérioration des secteurs de la santé et de l’enseignement est lancé, avec deux dates : les 27 et 28 septembre à partir de 18 heures.
À l’exception du soutien à Gaza, les questions politiques et sociales internes ne mobilisent pas grand monde au Maroc.
Seules quelques individualités appartenant aux mouvements d’extrême gauche – toujours les mêmes – font généralement acte de présence devant le Parlement.
Mais ce 27 septembre vers 17 heures, la déflagration est à la mesure de la surprise

Des milliers de jeunes, dont certain·es à peine sorti·es de l’adolescence, ont non seulement sillonné les artères des trois grandes villes de ce qu’on appelle le «Maroc utile » (Casablanca, le nerf de l’économie marocaine, Rabat, la capitale politique, et Tanger, une grande fenêtre séparée de l’Europe par une vingtaine de kilomètres de Méditerranée), mais d’autres villes, comme Marrakech, une autre destination touristique très convoitée, Tétouan et Oujda, au nord, Meknès, au centre, etc., ont connu la même mobilisation de la part d’une jeunesse qui a pris tout le monde de court.
Les contestations sont à la fois concertées et pacifiques, mais la répression est insoutenable, avec des centaines d’arrestations souvent abusives.
« Le roi… c’est mon chef »
La tension sociale était déjà dans l’air à cause d’une série de mesures antisociales, menées depuis plus de dix ans et dont les conséquences en matière de stabilité politique n’ont pas pu être évitées.
La « réforme » de la Caisse de compensation, conduite dès 2012 par le gouvernement islamiste post-Printemps arabe, dirigé par Abdelilah Benkirane, s’est traduite par une suppression drastique des subventions, entre autres produits, du carburant et du gaz butane par l’État.
D’une voix triomphante, ce dernier déclarait le 20 juin 2016 à Tanger que la « réforme » de la Caisse de compensation « a fait gagner à l’État 100 milliards de dirhams [près de 10 milliards d’euros –ndlr] ».
Mais les effets de cette décision sur le pouvoir d’achat de la petite classe moyenne et des couches défavorisées se manifesteront plus tard, et ils seront dévastateurs.
La déception vis-à-vis des islamistes du PJD (Parti de la justice et du développement, au gouvernement de 2011 à 2021) était profonde, nourrissant, à l'inverse, d’immenses attentes quant à l’actuel chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, un milliardaire proche du roi Mohammed VI.
Il a été nommé à ce poste en 2021, après que son parti, le Rassemblement national des indépendants (RNI), a remporté les législatives.
Conformément aux « hautes instructions de Sa Majesté que Dieu le glorifie », comme il aime à le répéter, Akhannouch n’a pas remis en cause la politique antisociale que son prédécesseur avait mis en place avec l’aval du monarque, son « boss », disait-il – en février 2013,
Benkirane déclarait en effet à la presse française que « pour moi, le roi est le symbole du chef de l’État, c'est mon chef ».
« Le Maroc, vitrine de l’Afrique »
Décembre 2022, l’équipe du Maroc de football, composée à 90 % de joueurs nés et évoluant en Europe, se qualifie pour la demi-finale de la coupe du monde au Qatar.
La population est euphorique. Grisé par ce succès, le roi se lance dans des projets herculéens extrêmement coûteux mais de plus en plus contestés.
C’est d’ailleurs le Maroc qui organisera la Coupe du monde de 2030, avec l’Espagne et le Portugal.
Beaucoup de Marocain·es restent sceptiques, malgré leur joie sportive et les slogans ressassés à l’envi par les communicants du palais : le « Maroc vitrine de l’Afrique», « Le royaume qui bouge », « le Maroc du TGV »...
Face à la dégradation ahurissante des infrastructures sanitaires et éducatives, les stades construits ou en « reconstruction » mobilisent des budgets pharaoniques dans un pays où les inégalités sociales sont parmi les plus fortes au Maghreb : celui en construction à Benslimane, entre Casablanca et Rabat, d’une capacité de 115 000 spectateurs coûtera au moins 500 millions d’euros ; celui de Rabat, 340 millions d’euros, enfin la « reconstruction » du stade de Marrakech a nécessité 80 millions d’euros.
Vingt jours avant le discours du trône, le 30 juillet 2025, dans lequel le roi disait pour la énième fois ne pas accepter l’existence « d’un Maroc à deux vitesses », une longue marche, appelée « marche de la dignité » est organisée par des centaines d’habitant·es de la vallée des Ait Bouguemez, dans le Haut Atlas.
D’autres marches du « Maroc inutile», une formule chère au maréchal Lyautey, suivront pour attirer l’attention sur ces régions enclavées, qui échappent aux « projets structurants sous le haut patronage de Sa Majesté que Dieu le glorifie », selon la propagande officielle, et dont les habitant·es vivent encore à l’âge de pierre.
Le drame de l’hôpital d’Agadir ressemble donc à cette goutte qui a fait déborder un vase à ras bord, faisant remonter à la surface un long processus décisionnel impopulaire, dont les conséquences sociales ont mené aux troubles sociaux que le régime tente aujourd’hui, difficilement, de gérer.
Des écoles, pas des stades
Qui sont ces jeunes qui sillonnent les villes du royaume depuis le 27 septembre ?
Ils font partie de ce qu’ils appellent la Génération Z, née entre 1997 et 2012, une génération très connectée sur les réseaux Instagram, Snapchat, TikTok, et qui aspire à une autonomie sociale et financière rapide.
Leur rapport à la classe politique, aux partis, au Parlement ou encore au gouvernement sont caractérisés par une grande méfiance, voire une hostilité tout à fait assumée.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, elles ils ne sont pas tous issu·es des milieux défavorisés.
Beaucoup appartiennent à cette petite classe moyenne citadine, dynamique et débrouillarde.
On ressent, en visionnant les vidéos qui inondent les réseaux sociaux, une grande subtilité dans les messages véhiculés et un certain sens de l’humour, corrosif et fin.
Même si leurs revendications prennent la forme de slogans à caractère social (« Le peuple veut la chute de la corruption », « Akhannouch dégage », « Santé et éducation », « Nous ne voulons plus de coupe du monde mais des hôpitaux », « On veut des écoles, pas des stades », etc.), l’aspiration à une société démocratique y est présente et résumée par le slogan « Liberté, dignité et justice sociale », emprunté à un célèbre ancêtre, le mouvement du 20-Février, né dans le sillage du Printemps arabe en 2011.
Pas de remise en cause du roi
Ils ne remettent pas en cause l’existence de la monarchie.
Mais le roi est souvent interpellé pour qu’il amorce et conduise le changement auquel ils aspirent.
À la différence du mouvement du 20-Février dont les acteurs étaient de jeunes militants déjà bien formés au sein des partis de gauche, des ONG de défense des droits humains et des mouvements islamistes, les revendications à caractère constitutionnel et les enjeux de pouvoir ne figurent ni dans le discours ni dans les revendications des jeunes de la GenZ 212.
La nature de leurs demandes trahit, au contraire, une certaine naïveté politique et une méconnaissance des enjeux de pouvoir dans un régime où le roi est l’alpha et l’oméga d’un jeu politique qu’il contrôle et domine.
Le 3 octobre, sur la plateforme Discord, où ils annoncent chaque jour les lieux et les horaires de ce qu’ils appellent «les sorties », leurs premières « demandes », adressées directement au roi, sont moins réalistes que crédules : déclenchement d’un processus judiciaire pour juger les corrompus ; dissoudre les partis impliqués dans la corruption, activer le principe d’égalité, organiser une séance publique présidée par le roi et visant à « juger » l’actuel gouvernement, etc.
Mettre fin à ses fonctions dans de telles circonstances serait un aveu de faiblesse de la monarchie et une décision humiliante pour l’actuel chef du gouvernement, dont la loyauté à l’égard du monarque a toujours été sans faille.
Et puis, par qui va-t-il le remplacer ?
Le roi va-t-il « imiter » le président français et dissoudre le Parlement pour provoquer de nouvelles élections ?
Ou bien finira-t-il par former une équipe de technocrates et « manager » le royaume en attendant un fonctionnement normal des institutions constitutionnelles ?
À la différence du Printemps arabe où le PJD, perçu à l’époque comme une formation « vierge », pouvait apparaître comme une alternative à la contestation politique et sociale, la monarchie ne semble pas, aujourd’hui, avoir beaucoup de ressorts pour répondre institutionnellement aux attentes de sa jeunesse.
On n'entend déjà plus, voire moins, parler de soulèvements au Maroc. Que s'est-il passé ? Ils ont obtenu les garanties qu'ils voulaient ou comme pour l'arrestation de Zefzafi ils sont parvenus à étouffer le mouvement de révolte (en les faisant passer pour des individus influencés par l'extérieur pour déstabiliser le Maroc) ?
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